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LA LITTÉRATURE EN SUÈDE.

à l’Islande. Si de la langue écrite on passe au dialecte du peuple dans quelques provinces, on y retrouvera plus d’analogie encore avec l’ancienne langue scandinave. C’est ainsi, par exemple, que les Dalécarliens ont encore dans leur idiome de montagnards toutes les formes de verbes et les déclinaisons compliquées de l’Islande[1].

Le premier monument de la prose suédoise est une lettre d’amour, une lettre de six pages, écrite par une religieuse du couvent de Wadstena à celui qu’elle aimait. Elle date de 1498. À cette époque, la langue n’était pas encore formée. L’amour allait plus vite que les grammairiens. Cette lettre de sœur Ingride est un naïf mélange de tendresse profane et de piété mystique. C’est l’œuvre d’un jeune cœur qui aime, qui croit, et qui parle de son amour avec candeur et abandon. Hammarskœld place cette production d’une époque inculte bien au-dessus de l’épître tant vantée d’Héloïse, par Pope, et il a raison. Il y a entre les vers élégans du poète anglais et ces pages si simples d’une pauvre religieuse, toute la différence qui existe entre le développement artificiel d’une pensée et la libre et franche expression de l’ame. Qu’on me permette de citer quelques passages de cette lettre. On y verra que le cœur est toujours le plus éloquent des poètes.

« Tu m’as dit, ma très chère joie (min allrakœraste gladie), que je ne devais jamais douter de l’amour que j’ai trouvé en toi ; et aussi long-temps que je vivrai, je veux croire aux tendres paroles que tu m’as fait entendre le soir de sainte Barbe. Si tu savais, mon cher bien-aimé, combien de fois, depuis ce temps, j’ai pensé à toi et comme mon cœur brille dans ma poitrine, tu ne t’étonnerais pas de me trouver pâle et défaite, quand tu viens me voir ! Lorsque je me regarde dans le petit miroir que tu m’as donné, il me paraît que je ressemble à une statue inanimée plutôt qu’à une créature humaine. Tu t’es insinué si avant dans mon cœur, que je ne puis le dire à personne qu’à toi. Il m’est bien difficile d’arriver jusqu’au bout de mon Ave Maria ou de réciter quelque Pater noster, sans penser à toi. Même pendant la messe, je pense à ta charmante figure et aux heures que nous avons passées ensemble. Je crois que je n’ai besoin de confesser cela à personne. Il faudra pourtant un jour que je souffre à cause de toi ; mais je mets mon espérance dans notre sainte mère de Dieu, dans sainte Brigitte et dans les puissances du ciel.

« Tu sais que je ne suis pas entrée ici de mon plein gré. Mes parens peuvent retenir mon corps dans cette prison, mais mon cœur et mes pensées ne seront pas de si tôt enlevés au monde. Je suis une créature de chair et d’os, et la chair est fragile, comme dit saint Paul. De toutes les douleurs de ce monde, rien ne me semble plus triste que de ne pouvoir vivre et mourir avec toi. Tu te souviens peut-être du premier entretien que nous eûmes ici ensemble. Je te disais alors que ni joie, ni chagrin ne pouvaient me faire oublier la douleur de vivre loin de toi. Nous voilà maintenant séparés, et s’il plaît à Dieu de te rappeler de cette vie avant moi, je remplirai la promesse que je t’ai faite : je te garderai jusqu’à mon dernier jour une place dans mon

  1. Historiola linguæ dalekarliæ a Nœsman, in-4o, Upsal, 1733.