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DES INTÉRÊTS NOUVEAUX EN EUROPE.

constances. La Hollande, la Belgique et toute l’Allemagne rhénane, réunies sous un même sceptre, en séparant la France de l’Empire, auraient évité les longues guerres de l’Espagne contre ses possessions insurgées, de la maison de Bourbon contre la maison d’Autriche. Cet établissement conservateur eût rendu impossible Charles-Quint et Philippe II, Richelieu et Louis XIV. » Nous abandonnerons volontiers Philippe II à M. de Carné, et si le démon du Midi n’eût pas existé, nos regrets seraient médiocres. Mais nous ne saurions acquiescer à un système politique qui eût supprimé Charles-Quint, Richelieu et Louis XIV. Non que nous voulions offrir en holocauste, à la gloire des grands hommes, le bonheur des sociétés, mais parce qu’à nos yeux cette gloire n’est que le résultat des services qu’ils ont rendus aux nations. Charles-Quint n’est autre chose que l’Allemagne elle-même retrouvant les grandeurs du moyen âge ; et la France, à l’égard de l’Europe, vit tout entière dans Richelieu et Louis XIV. Ces agens illustres étaient les instrumens du travail que faisaient les plus grands peuples de l’Europe, pour se constituer et s’affermir ; et dans ce travail les véritables nations devaient se partager, en les absorbant, les populations intermédiaires. M. de Carné n’ignore pas que le royaume de Bourgogne, qui fit corps avec la France, sous Charlemagne et sous Louis-le-Débonnaire, commença à être divisé dès le règne de Lothaire, et qu’on put dès-lors le distinguer en trois régions différentes, dont les limites ont varié souvent, le royaume de Provence, la Bourgogne transjurane, et le duché proprement dit, devenus par la suite province du royaume de France, sous le nom de Bourgogne[1]. Refaire, au XVe siècle, un autre royaume de Bourgogne avec d’autres élémens, qui auraient été la Hollande, la Belgique et l’Allemagne rhénane, c’eût été remonter le cours des siècles, lutter contre les tendances de l’Europe, et construire un pénible contresens qui bientôt aurait avorté. Des trois parties de ce royaume hypothétique, la Hollande a son individualité qui n’est pas celle de l’Allemagne rhénane, et quant à la Belgique, est-elle autre chose, entre l’Allemagne et la France, qu’une transition et un champ-clos ?

Nous n’insisterons pas sur cette question délicate ; les dissertations sont puériles là où les problèmes ne peuvent être résolus que par des faits énergiques. La Belgique a été mise en demeure, par le bon vouloir de l’Europe, de montrer si elle peut être une nation. Plus sa souveraineté et son indépendance ont été reconnues avec promptitude

  1. Histoire des ducs de Bourgogne, par M. de Barante, livre ier.