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ÉTABLISSEMENS RUSSES DANS L’ASIE OCCIDENTALE.

sac de millet, et une bouteille de cuir pleine d’une espèce de lait aigri appelé skhou, composent toutes leurs provisions ; le manteau (tchaouka) sert à la fois de tente et de lit. Un Circassien ne se plaint jamais de ne pouvoir marcher faute de souliers ou de ne pouvoir vivre faute de provisions ; car, si le sac de millet et la bouteille de skhou font défaut, son fusil lui donne à dîner tant qu’il y a un oiseau dans l’air ou une bête sauvage dans les bois. Endurcis à tout dès l’enfance, pratiquant sévèrement l’abstinence, qui est considérée ici comme une vertu, ils supportent toutes les fatigues de la guerre, non-seulement sans répugnances, mais gaiement. Pour vous donner une idée de leur courage désespéré, un officier russe m’assurait qu’un guerrier circassien ne se rend jamais, résistant même à une troupe d’ennemis, tant qu’il lui reste une étincelle de vie ; ce n’est que lorsqu’il est mis hors de combat par ses blessures qu’il peut être pris pour orner le triomphe du vainqueur ; et, si le temps le permettait, je pourrais vous raconter des traits d’héroïsme qui n’ont peut-être pas leurs pareils dans l’histoire d’aucun autre peuple… À toute cette bravoure ils joignent non moins de finesse, en sorte qu’il est absolument impossible de les surprendre. L’ennemi ne peut jamais calculer leurs mouvemens ; car, paraissant tantôt dans un lieu, tantôt dans un autre, comme s’ils étaient doués d’ubiquité, ils rampent quelquefois dans le gazon comme des serpens, et surprennent la sentinelle à son poste, aux portes de la forteresse ; enfin il n’y a pas d’arbre, de rocher ou de buisson, qui ne leur serve pour se mettre en embuscade.

« Rien ne peut vous donner une idée de l’extrême impétuosité d’une charge de cavalerie circassienne ; elle serait effrayante pour les plus braves troupes de l’Europe, étant exécutée avec la rapidité de l’éclair, et accompagnée d’un terrible cri de guerre, semblable à celui du chacal. Telle est l’admirable éducation de l’homme et du cheval, que je vois tous les jours les moindres soldats exécuter des tours de force supérieurs à tout ce que j’ai jamais vu en Europe, même dans les théâtres consacrés aux représentations équestres. Par exemple, un guerrier circassien saute à terre, plonge son poignard dans le poitrail du cheval de son ennemi, et se remet aussitôt en selle ; puis, se tenant debout, il frappe son adversaire ou met une balle dans le but qu’il vise, tout cela pendant que le cheval est au grand galop. Mais le plus beau spectacle que puisse présenter cette espèce de guerre est un combat singulier entre un de ces hardis compagnons et un Cosaque Tchernemorski, le seul cavalier de l’armée russe qui puisse tenir tête à un si formidable ennemi, quoiqu’il finisse