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tigres, et disparaissent dans leurs montagnes. En outre, les Circassiens, agissant en petits corps séparés, sous le commandement de leurs chefs respectifs, sont une cause continuelle d’inquiétude, et occupent constamment des brigades entières. Aussi vous pouvez être sûr qu’à moins que le sentiment public ne change dans un sens favorable à la Russie, ce qui n’est nullement probable, elle ne réussira pas à subjuguer ces provinces, même avec une force de trois cent mille hommes. Ce nombre serait nécessaire rien que pour occuper les passages des montagnes, afin d’empêcher les communications entre les chefs ; après quoi il faudrait, avec de fortes colonnes, poursuivre les différentes troupes de guérillas. Mais la nature du pays est si favorable, que quand ils seraient chassés des vallées et des défilés, les sommets des montagnes, presque toujours fertiles, leur offriraient une retraite sûre pour eux et leurs troupeaux.

« L’animosité des habitans du Caucase contre la Russie s’est accrue à l’infini, non-seulement par les récits exagérés des déserteurs polonais et tartares qui résident parmi eux, mais aussi par suite de leurs souffrances individuelles. Outre la longue et constante guerre portée chez eux pour les priver de leur indépendance, ils accusent les Russes de brûler inutilement leurs villages, d’enlever de force leurs femmes et leurs enfans, et d’encourager les déprédations de leurs voisins les Cosaques Tchernemorski, établis sur l’autre rive du Kouban. Ceux-ci, disent-ils, en dépit des traités les plus solennels, passent le fleuve, pillent et dévastent tout. Les Circassiens sont si résolus à maintenir leur indépendance, quoi qu’il en puisse coûter, qu’à une réunion récente, les chefs confédérés ont sacrifié toutes leurs querelles particulières à l’intérêt général, et se sont engagés à ne jamais remettre l’épée dans le fourreau tant qu’il resterait un Russe sur leur territoire. Il serait difficile de se faire une opinion sur le résultat de cette guerre, quand on considère le pouvoir gigantesque qu’ils ont à combattre, et les noires et sinistres manœuvres que le gouvernement russe sait employer quand il a un but important en vue. Il y a pourtant quelque espérance à concevoir quand on pense à la nature du pays, à la bravoure extraordinaire du peuple ; à son attachement pour ses chefs, à son amour romanesque pour la liberté ; quand on sait que les Circassiens sont les meilleurs guérillas qu’il y ait au monde, et, avant tout, qu’ils ont résisté jusqu’ici à tout ce qu’on a tenté pour les rendre traîtres à leur pays, en leur offrant de l’or et des poignards enrichis de pierreries.

« Pendant une campagne, il semble qu’il n’y ait pas entre eux de distinction de rang : le chef n’est pas mieux traité que son vassal. Un