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LA PAPAUTÉ DEPUIS LUTHER.

la papauté, le protestantisme germanique n’a plus ni crainte ni haine, mais de l’équité. Même il aurait plutôt pour elle je ne sais quelle affection et quel enthousiasme d’artiste ; il l’admire comme une toile de Raphaël ; c’est à ses yeux une grandeur éteinte qui a droit à une suprême justice : on sent que les historiens de l’Allemagne jugent les papes comme les prêtres d’Égypte jugeaient les rois, après leur mort.

Le livre de M. Ranke, qui expose l’histoire de la papauté pendant les xvie et xviie siècles, n’est pas complet pour l’époque qu’il embrasse : l’introduction est superficielle ; pour le fond même du sujet, des points essentiels sont omis ; la France n’a pas reçu de l’historien une attention suffisante ; la dernière moitié du xviie siècle est traitée trop rapidement. Mais l’ouvrage du professeur de Berlin trouve son originalité dans la mise en œuvre de matériaux jusqu’alors inconnus, et dans une succession de points de vue ingénieux et justes. M. Ranke, après avoir découvert à Vienne des renseignemens nouveaux sur les pontificats de Grégoire XIII et de Sixte-Quint, a exploré la bibliothèque de Saint-Marc, à Venise, et toutes les bibliothèques d’Italie qui ont voulu s’ouvrir : il a dû s’arrêter au pied du Vatican. Ces provisions faites, il a su vraiment écrire un livre, où les faits et les aperçus, les récits et les considérations, s’enchaînent avec une industrieuse convenance. L’esprit de M. Ranke est pénétrant et lucide : il s’applique volontiers aux évènemens et aux phases les plus modernes de l’histoire européenne ; nous avons pu apprécier à Berlin la finesse de son tact historique. Dans sa conversation, on reconnaît un homme qui a étudié à fond les intérêts et les problèmes politiques de notre époque ; il a eu l’insigne fortune, pour un historien, de relations suivies avec le prince de Metternich, et il y a dans sa manière historique quelque chose de l’aplomb d’un homme rompu aux affaires. Le livre de M. Ranke a donc une réelle importance pour l’intelligence de la papauté et du catholicisme depuis trois siècles : rapport impartial et lumineux sur des points essentiels, il peut servir de base à une appréciation raisonnée des intérêts religieux de l’Europe depuis Luther.

Rien n’est plus utile que d’étudier combien une grande puissance met de temps à descendre de son apogée, quelles résistances, quelles ressources elle oppose à ses adversaires, comment elle vit sur la défensive après avoir été maîtresse des choses humaines. Mais cet examen est délicat et difficile. Les hautes prospérités ont des saillies grossières qui ne sauraient échapper à l’œil, tandis que les momens de l’histoire où les causes et les chances se balancent encore, ont