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opinion. Voici quelques détails intéressans sur ces villes qui s’élèvent comme par enchantement dans les déserts, et qui, au premier coup d’œil, semblent annoncer une si grande énergie créatrice. « Ces villes, dit M. Spencer, peuvent être quelquefois comparées à des champignons : on les fait naître de force, puis on les laisse périr. Toutefois, même sans habitans, elles donnent au paysage un aspect de civilisation et de population nombreuse ; le voyageur, imbu de l’axiome que c’est la demande qui crée la fabrication, ne peut pas s’imaginer qu’on élève une quantité de maisons dans la prévision qu’au bout de quelques années il se trouvera un nombre suffisant d’habitans pour les occuper. Mais pour expliquer ceci, il ne faut pas perdre de vue que le but principal du gouvernement russe est l’effet, l’effet exagéré. Il arrive ici ce qui n’a lieu nulle part ailleurs en Europe, que la prospérité d’une ville ou d’un district dépend entièrement de la principale autorité locale. Prenez pour exemple quelques-unes des villes de Crimée : Kherson, si bien bâtie, tout récemment le siége du commerce, est maintenant un désert ; de sa décadence est née la prospérité de Nicolaief qui, à son tour, va tomber ; le chantier de construction pour les vaisseaux, la corderie, etc., seront bientôt transportés à Sébastopol, qui a maintenant la préférence exclusive. Théodosia, il y a peu d’années, était une ville florissante ; mais les autorités ayant décidé que Kertch était mieux située, un ukase fut rendu pour la construction d’un lazaret à Kertch ; en conséquence, les malheureux propriétaires de maisons de Théodosia ont été ruinés, et les habitans obligés d’aller s’établir dans la ville rivale ou de se faire mendians. Peut-être la facilité avec laquelle on bâtit des villes en Russie est-elle une cause de leur multiplication si rapide. Quand on croit nécessaire d’en bâtir une, la seule chose à faire est d’obtenir un ukase à cet effet. Quand deux ou trois prêtres et quelques fonctionnaires publics sont rassemblés, le gouverneur de la province se met à leur tête, on dresse des tentes, on chante un Te Deum, et l’on boit du vin de Champagne à la prospérité de la nouvelle ville.

« Odessa est un exemple de l’heureuse influence que peut avoir sur la prospérité d’une ville la protection de l’administration. Sa rade, car nous ne pouvons l’appeler un port, est exposée aux vents d’est qui y soufflent avec une grande violence, surtout pendant l’hiver et l’automne, et endommagent souvent les navires. Le fond, composé d’une argile molle, est si mauvais que les grands bâtimens sont sûrs d’y perdre leurs ancres, s’ils ne les retirent pas toutes les vingt-quatre heures. Malgré tous ces désavantages, Odessa n’a cessé de croître en