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ÉTABLISSEMENS RUSSES DANS L’ASIE OCCIDENTALE.

en liberté les collines et les vallons, exercice fortifiant qui est tout-à-fait interdit au soldat russe. On doit mentionner, en outre, les misérables gîtes affectés au service des malades, qui, avec bien d’autres inconvéniens, font de l’admission à l’hôpital l’équivalent d’un passeport pour l’autre monde. Mais comme la plus grande partie des garnisons est composée de sujets réfractaires, c’est une perte dont le gouvernement ne s’inquiète pas beaucoup. Il est de fait qu’un ordre de rejoindre l’armée du Caucase est considéré comme un exil par les militaires, et on ne peut pas en être surpris, quand on songe aux privations dont les garnisons ont à souffrir. Elles n’ont pas de provisions assurées. La solitude et l’épidémie sont leurs compagnes dans l’intérieur des murs, et si le soldat va chercher le divertissement de la chasse dans le beau pays dont il est environné, un ennemi aussi insidieux que le tigre guette sa marche.

« Ainsi, entre la guerre et la maladie, la destruction de la vie humaine est si grande, que nous ne pensons pas qu’il y ait une autre puissance chrétienne capable de prodiguer à ce point le sang de ses sujets ; car, je puis vous l’assurer, le défavorable tableau que la vérité m’a obligé de faire des établissemens russes en Circassie, loin d’être chargé, est, au contraire, trop adouci ; et, ce qui est peut-être plus extraordinaire, les Russes n’ont pas fait un pas de plus vers l’accomplissement de leur projet, la conquête de la Circassie, que lorsqu’ils commencèrent les hostilités sur les bords du Kouban, il y a un demi-siècle. Nous devons, en outre, considérer comme le comble de la mauvaise politique dans un gouvernement de dépenser ainsi les ressources du pays dans une entreprise dont il a si peu de profit à espérer, et qui est seulement un égout pour ses soldats, lesquels pourraient être bien mieux employés ; car, si l’on peut dire d’un pays qu’il est le tombeau d’un peuple, la Circassie est celui de la Russie. »

Ce que M. Spencer avait vu de la Circassie n’avait fait qu’augmenter son désir de pénétrer dans l’intérieur de ce pays ; mais ce n’était qu’en Turquie qu’il pouvait trouver les moyens d’y rentrer sans trop risquer sa vie ou sa liberté. Néanmoins, avant de tenter cette entreprise, il voulut visiter à loisir la Crimée, où il avait été ramené par le comte Woronzof, et il fit à peu près le tour de cette péninsule, sur laquelle il donne beaucoup de détails curieux. Nous n’emprunterons pourtant à cette partie de son voyage que quelques renseignemens sur le principal port militaire et sur la principale ville de commerce des Russes dans la mer Noire, nous voulons parler de Sébastopol et d’Odessa. Ce fut le capitaine Pouthatin, commandant de la corvette