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ÉTABLISSEMENS RUSSES DANS L’ASIE OCCIDENTALE.

porté à la piraterie, plus féroce et plus soupçonneux envers les étrangers qu’aucune des autres tribus de cette partie du Caucase. On jeta enfin l’ancre dans la baie de Vadran, où aboutit le célèbre défilé de Jagra. Les Russes y ont un fort, dominé par des hauteurs, d’où les montagnards tirent des coups de fusil jusque dans les cours des casernes. Après Vadran, les montagnes s’élèvent à une hauteur considérable ; plusieurs sont couronnées de neiges éternelles, et le long de leurs flancs descendent des forêts d’arbres gigantesques ; le pays aussi est plus sauvage, plus solitaire, moins peuplé que la Basse Abasie. Après une traversée que le voyageur anglais évalue à 26 ou 27 lieues, on jeta l’ancre dans la vaste baie de Pitzounda, l’une des plus sûres du Pont-Euxin, à raison de son excellent ancrage, de la profondeur de la mer, et du rempart de hauteurs qui la défend contre tous les vents, excepté contre le vent de sud-ouest, rarement dangereux dans ces parages. Les Russes ont encore là une forteresse, située à près d’une lieue de la côte, et où l’on se rend à travers une belle forêt. Le fort renferme les ruines d’un monastère et une église bâtie par l’empereur Justinien, pour laquelle les indigènes, quoique devenus mahométans, ont conservé une vénération excessive. La tribu qui habite ce canton est en paix avec la Russie, et M. Spencer vit là, pour la première fois, des Caucasiens mêlés avec les soldats russes ; il fut frappé du contraste que présentaient les deux races sous le rapport de la taille, des traits, et surtout de la physionomie. L’air fier et dédaigneux des montagnards lui rappelait « le majestueux Albanais ou le chef écossais de Walter Scott s’écriant : Mon pied est sur ma bruyère natale, et mon nom est Mac-Gregor. Les Russes, ajoute-t-il, avaient, pour la plupart, l’air d’hommes accoutumés à recevoir des ordres et à accorder la plus entière déférence aux volontés de leurs supérieurs ; mais, comme nous n’avons rien de semblable en Angleterre, je ne sais où trouver une comparaison qui puisse vous donner l’idée de cette physionomie et de ces manières. »

Il y a douze ou quinze lieues de la Pitzounda à Soukhoum-Kalé, autre forteresse russe, bâtie près des restes de l’antique Dioscurias. C’est une des plus malsaines de cette côte, où il n’y en a presque pas de saine. « Le service y est si périlleux, dit M. Spencer, que les sen-

    identifie toujours avec les Circassiens. Ils ont pourtant une autre origine et une autre langue. Ils leur sont soumis, mais seulement en vertu du droit du plus fort. Autrefois les princes tcherkesses pressuraient les Abases et leur faisaient porter un joug assez pesant. Les princes abases ne sont regardés que comme les égaux des Ouzden, qui forment la seconde caste chez les Circassiens.