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les réduire à se soumettre. Cela est devenu praticable depuis que la Russie est maîtresse de la rive droite du Kouban, des provinces de Mingrélie, d’Imérethi et de Gouria, ainsi que des pays situés entre la mer Caspienne et les Alpes caucasiennes.

« C’est pour arriver à ce résultat que la Russie a travaillé pendant les cinquante dernières années, qu’elle a soumis l’une après l’autre les provinces efféminées au sud du Caucase, jusqu’à ce qu’il ne restât plus à soumettre que la côte de Circassie sur la mer Noire, contre laquelle, je n’en doute pas, tous les efforts et toutes les ressources de ce vaste empire seront dirigés. Toutefois les Russes connaissent si bien les difficultés de cette entreprise, qu’un officier supérieur me disait qu’il regardait la conquête de l’empire ottoman comme une œuvre plus facile que la réduction des tribus guerrières du Caucase. »

L’une des curiosités du camp de Soudjouk-Kalé était un prince circassien qui avait rejoint depuis peu l’étendard russe, et qui portait encore son costume national. Il était surveillé avec soin, et on le soupçonnait d’être venu pour espionner ; car il arrive souvent que des chefs et nobles circassiens offrent leurs services à l’empereur, reçoivent de lui des présens et des pensions, puis reviennent chez leurs compatriotes, à la première occasion, et tournent contre les Russes ce qu’ils ont pu apprendre d’eux.

De Soudjouk-Kalé, on se rendit à la baie de Ghelendjik, située environ quinze lieues plus loin, le long d’une côte dont la fertilité et l’incomparable beauté excitaient à la fois l’admiration et l’attendrissement du voyageur anglais, dont les idées se portaient avec tristesse sur le sort qu’on réserve à cette Arcadie et au peuple intéressant qui l’habite. La baie de Ghelendjik est l’un des havres les plus sûrs et les plus commodes de la mer Noire, et les Russes, comprenant tous les avantages de cette position, ont essayé de l’occuper. En avril 1832, l’empereur rendit un ukase permettant à tous les sujets russes de s’établir sur cette baie, et accordant, à ceux qui s’y établiraient, l’exemption de tout impôt et celle du service militaire pendant vingt-cinq ans ; mais l’hostilité des indigènes ayant fait avorter toute tentative pacifique, on s’est borné à y élever un fort occupé par une garnison d’environ deux mille hommes, qui, là aussi, est bloquée dans ses retranchemens. Quelques lieues plus loin, on passa devant la baie de Pchad, dont les montagnards sont restés en possession, puis devant quelques autres baies, visitées quelquefois par les Turcs, les seuls étrangers qui osent commercer avec les Abases[1], peuple plus

  1. Les Abases occupent la plus grande partie de cette côte de la mer Noire. M. Spencer les