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ÉTABLISSEMENS RUSSES DANS L’ASIE OCCIDENTALE.

d’Abasie, et le seul point par où ils pussent communiquer constamment et régulièrement avec les Circassiens, leur fournir des munitions et entretenir leurs ressentimens contre la Russie. Aussi cette puissance était-elle particulièrement intéressée à l’enlever à la Porte. « À la paix de Bucharest, dit Klaproth dans son Voyage au Caucase, la Russie a commis une faute énorme en laissant aux Turcs les forteresses d’Anapa et de Soudjouk-Kalé, par lesquelles ils sont toujours à portée d’envoyer des émissaires chez les peuples du Caucase pour les soulever contre les Russes. Il aurait fallu exclure les Turcs de toute la côte entre la Crimée et l’embouchure du Phase ou Rioni, où ils ont encore le fort de Pothi dans un pays entièrement soumis au sceptre de l’empereur de Russie. » Klaproth parlait ainsi en 1823. Depuis lors les Turcs ont abandonné Soudjouk-Kalé et ont cédé aux Russes Pothi et Anapa.

Après avoir quitté Anapa, l’expédition continua à longer la côte dont la direction constante est du nord-ouest au sud-est, entre le détroit de Taman et l’embouchure du Phase ; elle arriva à Soudjouk-Kalé, nouvelle possession russe. Les Turcs s’y étaient établis en même temps qu’à Anapa, et ils y avaient élevé une forteresse, prise aussi par les Russes et rendue à la Porte en 1812. Mais les montagnards, dégoûtés du voisinage des Turcs qui leur avaient plusieurs fois communiqué la peste, les chassèrent en 1820 et détruisirent les fortifications, qui restèrent depuis lors en ruines. C’était peu de jours seulement avant l’arrivée du comte Woronzof qu’un corps russe de quinze mille hommes avait enlevé Soudjouk-Kalé aux Circassiens, après un sanglant combat. Cette circonstance procura à M. Spencer le piquant coup d’œil d’un camp russe, avec sa variété infinie de physionomies et de costumes. Pendant son séjour au camp, des officiers lui communiquèrent des détails curieux sur les Circassiens, sur leur manière de faire la guerre, enfin sur les moyens employés pour les réduire. « Entre autres projets, dit-il, c’est l’intention du gouvernement russe d’occuper tous les ports, toutes les baies et tous les lieux de débarquement de la côte de Circassie ; en outre, on veut bâtir des forts dans les meilleures positions et les lier entre eux par des routes militaires. Et assurément, si ce plan peut être réalisé, on empêchera les montagnards d’avoir aucune communication avec les Turcs, qui les aident de leurs conseils et leur fournissent des munitions. Comme ils manquent entièrement de sel, de poudre, et qu’ils n’ont aucune espèce de manufactures, on espère par ce moyen semer la division entre les chefs, faire plier l’esprit indomptable du peuple, et définitivement