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peuple démoralisé ? Un esclave n’a jamais combattu avec l’énergie d’un homme libre ; et des siècles de despotisme et de mauvais gouvernement ont produit un résultat qu’on aurait pu prévoir, la faiblesse de la nation. Le déploiement de l’étendard du prophète ne peut plus tenir lieu à un Turc de nourriture et de vêtement, et la tactique européenne ne changera pas en héros des hommes dénués d’esprit public. Heureusement pour la Turquie, les sujets de son dangereux voisin sont aussi des esclaves, et les finances de la Russie ne sont pas beaucoup plus florissantes que les siennes. Cela ne nous empêche pas de désirer vivement que les tacticos[1] du sultan n’aient point à combattre les cohortes du Nord, au moins d’ici à un demi-siècle.

« Sans parler de l’état désastreux des finances du pays, on ne voit que décadence et que ruine dans tout cet immense empire, soit qu’on le considère en Europe ou en Asie. Où sont ses ressources pour défendre son indépendance, ou pour soutenir une lutte prolongée en cas de guerre ? Le code fanatique de Mahomet, que rien ne peut améliorer, si ennemi de la science et de tout sentiment libéral, a été la plaie des belles contrées dans lesquelles ses disciples se sont établis. Il est même surprenant que le gouvernement ait pu se soutenir si long-temps contre tant de difficultés. Il n’y a presque pas un Turc qui ne vive dans la paresse ; avec un sol d’une richesse prodigieuse, la Turquie est obligée d’acheter du grain à ses voisins. Avec des mers ouvertes dans toutes les saisons, avec des ports défendus contre tous les vents du ciel, où sont ses négocians ? Elle est condamnée à voir tout son commerce passer par les mains de spéculateurs étrangers, qui ne peuvent avoir aucun sentiment patriotique pour un pays aux intérêts duquel ils ne peuvent jamais être associés. On doit avouer que, pendant les années où la branche de l’olivier s’est étendue sur ce malheureux pays, notre commerce s’y est accru dans une proportion considérable ; mais il est loin d’être devenu ce qu’il pourrait être. Il est vrai que les Turcs ne peuvent plus mettre à leurs habillemens le même luxe qu’avant leur ruineuse guerre avec la Russie. Je ne puis m’empêcher de croire qu’il y a eu négligence de notre part à ne pas tirer parti de notre position pour former avec eux une alliance commerciale ; car il ne faut pas perdre de vue que notre commerce avec la Turquie est extrêmement avantageux, soumis à peu ou point d’entraves, entièrement fait à l’aide de nos propres navires, et, avant tout, avec un pays presque complètement dénué de manufactures ; il

  1. C’est le nom qu’on donne, à Constantinople, aux troupes régulières de Mahmoud.