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ÉTABLISSEMENS RUSSES DANS L’ASIE OCCIDENTALE.

seule chose qui manque à l’armée ottomane : il lui manque encore un état-major bien conduit, ce qui l’expose à tous les maux résultant d’une mauvaise administration, maux qui s’accroîtraient au centuple en temps de guerre. Le sultan ne l’ignore pas ; mais, grace à l’ignorance et à l’incapacité de ses agens, rien de ce qu’il a tenté jusqu’ici pour y remédier n’a pu réussir. En outre, la majorité de ses instructeurs européens est composée d’hommes qui ne présentent pas de très grandes garanties comme caractère ni comme talent militaire. Le sultan, d’ailleurs, malgré sa fermeté, ayant cédé aux sollicitations de son peuple, qui ne veut être commandé que par des officiers professant l’islamisme, les Turcs ne sont pas en position de faire de grands progrès dans la tactique européenne.

« Ce n’est pas tout encore : l’allié protecteur du sultan, craignant apparemment que le pupille ne devienne trop redoutable pour le tuteur, ne manque jamais de trouver mille objections fondées sur les opinions politiques réelles ou supposées de tout homme d’un talent militaire reconnu qui offre ses services à l’armée turque. Il est vrai que le grand-seigneur prend parfois un ton d’indépendance, et l’on entend dire que l’influence de son très fidèle cousin décline, et que les conseils de l’Angleterre prévalent ; alors le courage languissant des patriotes se relève, mais hélas ! toutes les velléités d’énergie du sultan se dissipent à un seul signe de tête du petit homme dans son château de Bouyouk-Déré. Comment en pourrait-il être autrement ? Le filet de l’intrigue politique est trop habilement tendu autour de la victime pour qu’elle puisse s’en tirer ; connaissant sa faiblesse et ayant été si souvent abandonné par ceux dont les intérêts sont identifiés avec les siens, Mahmoud est obligé de céder, à moins qu’il ne veuille voir l’anarchie triompher à l’intérieur et l’ennemi franchir la frontière.

« En rendant compte de l’état actuel de cet empire en décadence, je regrette de ne pouvoir représenter les choses comme je voudrais qu’elles fussent ; toute apparence d’amélioration est saluée avec espérance par tous ceux qui s’intéressent, non-seulement à la stabilité du pouvoir de la Porte, mais encore à la diffusion générale des lumières parmi le peuple turc. Toutefois mon opinion est que, si nos secours et nos conseils ne deviennent pas plus efficaces qu’ils ne l’ont été jusqu’ici, le sultan Mahmoud, avec toute son énergie, ne pourra que retarder la chute définitive de son empire ; car comment les efforts d’un seul homme, quelque grand, quelque puissant qu’il soit, pourraient-ils rendre immédiatement la vigueur et le courage à un