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lége, ou de la stupidité des nations qui en subissent débonnairement l’exercice. Qui peut nier qu’un établissement anglais, ou plutôt un comptoir commercial sur la mer Noire, ne produisît les conséquences les plus importantes sous le double rapport de la politique et du commerce ? Le Caucase occidental, habité par les tribus indépendantes de la Circassie, est d’une fertilité prodigieuse, et presque tous ses ports, toutes ses baies, sont accessibles en toute saison et à l’abri de tous les vents. C’est une position admirable pour arrêter les progrès de la Russie, assurer l’indépendance de la Turquie et de la Perse, et servir de barrière presque insurmontable contre toute tentative d’invasion dans nos possessions orientales. En négligeant de faire son profit d’une offre si importante, est-ce aller trop loin que de dire au gouvernement de sa majesté qu’il encourt une sérieuse responsabilité par une incurie qui peut être la source de malheurs irréparables pour notre pays ?

« La première démonstration de la part de la Grande-Bretagne, en faveur des peuples du Caucase, serait saluée par une explosion de joie simultanée dans tout l’empire ottoman et dans tout l’empire persan ; d’un autre côté, elle ébranlerait la puissance russe jusque dans ses fondemens. À l’intérieur, cette puissance a à contenir les mécontentemens de l’armée et la désaffection que le peuple nourrit en silence, par suite des exactions des employés civils et de la corruption qui règne dans l’administration de la justice. La Pologne, la Pologne persécutée, est prête à éclater comme un volcan tout plein de vengeances terribles. Ajoutez à cela que les Cosaques du Don, du Kouban, du Phase et du Khopi, ont déjà montré des symptômes de sentimens révolutionnaires, et, dans quelques districts, ont fait cause commune avec les Circassiens. De nombreuses tribus du Caucase, qui, jusqu’ici, étaient restées paisibles et soumises au gouvernement, se sont jointes dernièrement à ces montagnards : une force militaire imposante maintient seule dans la soumission les habitans de la Géorgie, de l’Imirétie, de la Mingrélie et de la Gourie. Nos correspondans de Constantinople et de Trébisonde nous disent que même le dernier voyage de l’empereur à travers ces pays, de Soukoum-Kalé à Tiflis, et de là en Russie, à travers le Vladi Caucase et le pays des Cosaques de la mer Noire, ne s’est pas fait sans de grands dangers, parce que des corps considérables de Circassiens ont inquiété les troupes qui lui servaient d’escorte, quoiqu’elles fussent pourvues d’un train d’artillerie prêt à agir immédiatement. Combien cela ressemble peu aux pompeux récits que nous a faits la presse soldée de Russie sur l’en-