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sur sa frontière comme une tête de pont contre la Suède, et qu’il se mettait en communication avec la vieille Europe par la mer Baltique, afin de faire arriver à son peuple la civilisation occidentale, il comprenait que son empire était appelé à prendre une grande extension au midi, et il lui préparait les voies de ce côté. Il voulait déjà prendre pied sur les côtes de la mer Noire et sur celles de la mer Caspienne pour observer à la fois l’empire des Sofis et celui des Ottomans, double héritage qu’il croyait ne pouvoir échapper à lui ou à ses successeurs. Mais l’heure n’était pas encore venue : le vainqueur de Charles XII échoua dans ses projets contre la Turquie, et le traité du Pruth, à la suite de sa malheureuse campagne de 1711, l’obligea d’abandonner son premier établissement sur la mer d’Azof. Il fut plus heureux contre la Perse, livrée alors à la plus affreuse anarchie, et obtint d’une dynastie expirante la cession de toute la côte occidentale et méridionale de la mer Caspienne ; conquête prématurée qui dut être abandonnée peu d’années après, quand un soldat de fortune, le brave et habile Nadir, eut relevé l’empire persan de ses ruines. Depuis ce temps, la Russie n’a cessé d’aspirer à la domination des deux mers ; elle s’est établie sur leurs côtes au nord et à l’occident, mais sans pouvoir, jusqu’à ces derniers temps, s’étendre au midi, ni mettre la main sur les plus beaux pays que baignent leurs eaux. C’est que d’une mer à l’autre, entre les steppes de la Moscovie et les fertiles contrées qu’arrosent le Phase, le Cyrus et l’Araxes, s’élève la formidable muraille du Caucase. Deux passages seulement permettent une communication difficile à travers ce rempart gigantesque : l’un à l’est, le long de la mer Caspienne ; l’autre, au centre de la chaîne, remonte la vallée du Terek, fermée autrefois par la fameuse porte caucasienne. Les Russes ont occupé l’un et l’autre ; mais celui du centre, si indispensable pour pouvoir communiquer avec leurs provinces géorgiennes et arméniennes, ne reste à leur usage qu’à l’aide d’une ligne de points fortifiés qui le dominent dans toute sa longueur, et dont les garnisons ont des combats continuels à livrer aux populations montagnardes.

Le Caucase oriental a pour habitans les Lesghis et les Kistes ou Mitzdeghis. Le Caucase occidental est occupé par les Ossètes et par les tribus circassiennes et abazes au milieu desquelles vivent quelques hordes tartares. Toutes ces peuplades, qui forment un total d’environ deux millions d’hommes[1], sont restées, à peu d’exceptions près,

  1. Voyez Klaproth, Tableau du Caucase.