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pacifiques, et non-seulement les peuples ne songent plus à la guerre, mais leur conduite témoigne qu’ils croient à la durée de la paix. Autrement se précipiteraient-ils ainsi dans les grandes entreprises de l’industrie ?

Quand M. de Villèle vint apporter aux chambres son projet de conversion du cinq, c’était après la campagne d’Espagne, dont l’heureux succès lui paraissait ouvrir à la restauration une longue période de calme et de travaux intérieurs. Nos provinces, en désirant aujourd’hui la même conversion, ne montrent-elles pas une confiance dans la paix plus grande encore que celle du gouvernement lui-même ? La sécurité du pays est imperturbable, et il pense que ses plus mauvais jours sont passés.

Aussi tout s’anime pour l’industrie : les têtes se montent, les capitaux et les capacités s’associent, les compagnies s’organisent, l’industrie des particuliers se lance dans la carrière avec une pétulante impétuosité, et semble rejeter tout conseil et tout frein. Ne nous en étonnons pas ; l’avènement d’une puissance nouvelle se signale presque toujours par des saillies exagérées ; elles passent, et la véritable force reste.

Dans la manutention de l’industrie, les compagnies et le gouvernement doivent fonctionner de concert : voilà la vérité politique ; et l’homme d’état qui préside le conseil l’a comprise depuis long-temps. Cependant aujourd’hui les compagnies semblent décliner l’appui du gouvernement : prenez patience, elles le rechercheront bientôt. Mais il faut quelque temps pour établir l’harmonie ; tout ce mouvement n’est que d’hier, et le premier développement d’un état nouveau n’est pas l’équilibre.

Si, à côté de l’action parallèle des compagnies et du gouvernement, vous mettez les rapports de la propriété foncière et de la propriété mobilière, vous embrasserez l’ensemble de la situation économique du pays. Ces rapports, qui sont le fondement de la vie sociale, préoccupaient déjà, dans le dernier siècle, Gournay et Turgot. Ils doivent aujourd’hui devenir l’étude approfondie des hommes politiques, qui, dans toutes les situations, travaillent au bien-être social.

Au reste, les temps n’ont jamais été meilleurs pour les travaux de l’industrie et de l’intelligence. La paix est profonde. La France a laissé tomber l’exaltation révolutionnaire, pour entrer avec franchise dans le développement constitutionnel. Malheur à qui ne comprendrait pas cette marche des choses ! Le premier soin du navigateur est de reconnaître quel vent souffle sur les eaux, et la société est une mer immense dont on ne saurait sans péril méconnaître les mouvemens.