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CHAMBRE DES PAIRS.

de libérer l’état du service de la rente 5 pour 100 par le remboursement ou la conversion en un autre titre. Si l’assemblée du Luxembourg conservait à cet égard le moindre doute, M. Humann pourrait lui répéter ce qu’il disait, en 1824, à la chambre des députés, que le droit politique et social ne permet pas d’attribuer à des particuliers le pouvoir de laisser l’état sous le poids d’un engagement sans terme.

Il n’y a donc pas lieu aujourd’hui à rester en échec devant la question de droit, ni à en faire un instrument de résistance, surtout à une époque où la légitimité de la puissance sociale, s’exerçant au profit de tous dans un intérêt général, commence à rallier tous les esprits et triomphe aisément des arguties d’un individualisme rétrograde. Mais quand la chambre des pairs aura admis le principe, ne rencontrera-t-elle pas les questions vraiment politiques de convenance, d’opportunité, des voies et moyens ?

Oui, l’intérêt individuel, quand il ne s’agit pas des droits sacrés de la liberté et de la vie, ne peut prévaloir contre l’intérêt social ; mais aussi il faut que ce dernier intérêt soit vraiment social, c’est-à-dire qu’il ne prenne pas parti pour quelques fractions de la société contre d’autres, mais qu’il soit compréhensif, universel, équitable. Or, de combien de faits et de circonstances la chambre des pairs n’a-t-elle pas à s’enquérir avant de prononcer sur la convenance et l’opportunité de la conversion !

Est-ce le moment où l’on se plaint avec raison de la fureur qui précipite toutes les impatiences et les convoitises dans des entreprises aventureuses, où le désir d’une rapide opulence imprime, pour ainsi dire, aux fortunes et aux patrimoines un mouvement révolutionnaire, est-ce ce moment qu’il faut choisir pour troubler les existences modestes, la médiocrité paisible qui se tient satisfaite et honorée d’elle-même ? Est-il moral, est-il social de les provoquer aussi à l’imprudence, au jeu, à l’agiotage ?

Ces inconvéniens sont réels ; auront-ils une compensation suffisante ? Nous ne connaissons rien de mieux fait pour mettre en garde contre la précipitation d’une conversion brusque et dure, que l’aveu loyal de M. Duchâtel, qui, de tous les effets attribués à la mesure, n’en reconnaît qu’un, une économie pour l’état de 12 millions ; c’est quelque chose, sans doute, mais ce n’est pas assez pour autoriser les impétueuses exigences des conversionnistes exaltés. Il n’y a pas un intérêt public assez considérable pour avoir hâte et plaisir à froisser tant d’intérêts particuliers. César disait que si l’on se déterminait une fois à violer le droit, ce devait être pour régner. La société peut faire