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CHAMBRE DES PAIRS.

Il y a aussi quelque chose de plus dans ce retour de justice à l’égard de la pairie. Le pays, dont les sympathies les plus vives s’adressent naturellement à la chambre démocratique, est instinctivement poussé à reconnaître de plus en plus l’autre chambre comme un fait nécessaire qu’il faut mettre hors de toute discussion. Voici pourquoi : Dans le système qui partage le pouvoir législatif entre deux chambres, la plus grande difficulté est dans la création de la seconde. La chambre démocratique est naturellement l’expression de la société dans ce qu’elle a de plus positif et de plus vivant ; pour la constituer, les élémens abondent, et on peut dire qu’elle s’enfante elle-même sans efforts, tant elle sort inévitablement des entrailles de la nation.

Mais à côté de celle-là, organiser une autre chambre qui la balance dans son jeu, sans la contredire dans ses principes, qui la modère, lui résiste même, non pas tant par des luttes ouvertes que par la différence et le contraste de ses allures, dont le contrepoids enfin n’amène pas de chocs funestes, mais une laborieuse et définitive harmonie, voilà un problème épineux que la théorie la plus savante est impuissante à résoudre d’un seul coup.

La chambre démocratique peut exercer une grande puissance sur le pays, même en devant son origine à une loi faite hier ; elle est la société même avec ses passions les plus sincères et ses exigences les plus pressées, elle suffit à l’œuvre du jour, de l’heure. Mais l’autre chambre ne saurait improviser sa force de coopération ou de résistance ; pour vivre, elle a besoin d’avoir été ; quelque passé lui est nécessaire, et pour assister au présent avec autorité, il faut qu’elle puisse montrer la série des transformations et des épreuves traversées.

Il n’est pas paradoxal de dire que le jour où la convention s’est dissoute elle-même, la pairie est née. Puisque, par la constitution de 1795, la société française abandonnait le système d’une seule chambre pour en vouloir deux, elle consentait à la puissance nécessaire de la seconde assemblée.

Directoire, empire, restauration, révolution de 1830, voilà les quatre phases par lesquelles a passé la seconde chambre ; ce passé fait sa force. Joignez à cela la volonté positive du pays, qui a voulu tout à la fois la maintenir et la marquer du sceau démocratique en lui ôtant l’hérédité. La loi de 1831 fut vraiment organique. Nous ne croyons rien exagérer en disant que par la suppression de l’hérédité, la démocratie a été satisfaite, la pairie consolidée, et la royauté profondément enracinée dans le sol.

La plus grande différence qui sépare la chambre des pairs de la