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DE LA SOUSCRIPTION DIRECTE.

grande et grandit encore, mais comme le développement de son passé. La France, au contraire, est née d’hier ; comme toute démocratie, elle n’a pas d’ancêtres ni d’héritage. Elle est pauvre encore, et fait son éducation industrielle comme elle a fait son éducation politique, c’est-à-dire à ses dépens.

L’industrie est venue tard chez nous ; elle rencontre en France plus d’obstacles qu’ailleurs, parce que nous sommes le pays le plus avancé dans la démocratie. Réunir les capitaux divisés, associer des volontés divergentes, dégrossir des intelligences qui étaient restées en friche, aller chercher, pour ainsi dire, les consuls du régime industriel à la navette ou à la charrue, c’est une entreprise ardue que le temps peut seul accomplir.

Dans un pays gouverné aristocratiquement, la puissance qui produit s’éveille nécessairement plus tôt, car elle ne dépend que des individus. Pour une démocratie, au contraire, ce sera toujours un long enfantement, car l’industrie n’y peut faire de grandes choses qu’à l’aide de l’esprit d’association.

Les petits capitaux sont comme la poussière à qui le vent seul donne un corps en la soulevant. L’association est la force qui les fait mouvoir et qui les rend féconds, d’improductifs qu’ils étaient, dans leur état d’isolement et de dispersion. Il n’y a pas long-temps que ces atomes à peu près impalpables ont appris en France à se réunir ; mais dès ce jour aussi, la démocratie industrielle a trouvé son levier d’action.

Le premier exemple d’une vaste association formée à l’aide des petits capitaux, a été donné par la banque Laffitte. Lorsque l’honorable député en était encore à exposer la pensée qui a présidé à la création de cet établissement de crédit, son plan ne rencontra que des contradicteurs parmi les grands capitalistes et les banquiers. On ne le discutait même pas ; on s’en moquait comme d’un rêve extravagant. Créer une banque d’escompte et de prêt, au capital de 54 millions, et une banque par actions, fondée par des souscripteurs à 1,000 fr., n’était-ce pas tenter l’impossible ? Or, l’impossible a réussi. La banque nouvelle, à peine organisée, a réalisé son capital ; cette gigantesque société en commandite a obtenu, par le fait seul de l’adhésion de souscripteurs nombreux, une puissance égale à celle des hauts financiers qui régnaient à la Bourse sans rivaux. La Banque de France, craignant de l’avoir pour adversaire, a préféré traiter avec elle et l’associer à ses opérations. N’est-ce pas là une véritable inva-