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que le cœur et la raison fassent un long divorce, et je n’ai pas seulement trouvé, dans le système des affranchissemens individuels, les garanties que ma prudence exigeait ; j’y ai trouvé la satisfaction plus complète de mes vœux de liberté, de mes profondes sympathies pour la classe esclave.

On me reprochera peut-être d’avoir passé sous silence un des motifs qui pourraient sembler les plus propres à déterminer les esprits en faveur de mon système, de n’avoir pas parlé des répugnances si vivement manifestées par les colons contre les affranchissemens généraux ; répugnances que ne saurait exciter un système qui cherche sa base dans les usages mêmes des colonies, qui ne hasarde rien, ne compromet rien, opère la transformation peu à peu, ne donne jamais une liberté sans exiger en échange une garantie, et n’ordonne jamais un sacrifice sans en apporter la compensation. Certes, nul n’est plus frappé que moi des services immenses que pourraient rendre à l’œuvre difficile dont nous nous occupons le concours et l’appui des propriétaires d’esclaves. Mais la vérité pouvait se passer de cet argument, et j’aurais éprouvé un regret profond si, en y mêlant des considérations de ce genre, j’avais pu donner à une conviction assise sur la nature même des choses, l’apparence d’une concession faite aux menaces et aux préjugés des personnes.


Agenor de Gasparin.


L’auteur de ce travail, qui a fait une étude spéciale de la matière, doit bientôt publier un volume sur l’abolition de l’esclavage. Le morceau qu’on vient de lire donnera, nous le pensons du moins, une favorable idée de cette prochaine publication. Bien que nous ne partagions pas toutes les opinions que M. A. de Gasparin a développées dans son livre, notamment celle qu’il émet sur les colonies, qu’il regarde comme un embarras pour la France, nous avons cru devoir appeler l’attention sur un écrit qui annonce, dans le jeune écrivain, une indépendance et une élévation d’esprit peu communes. (N. du D.)