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insuffisante accordée aux propriétaires ; c’est le complément de la pensée unique du bill.

S’il en était autrement, le temps d’apprentissage serait plus long ; il serait marqué par des soins plus assidus donnés à l’éducation morale des nègres ; il précéderait l’affranchissement au lieu de lui succéder ; il instituerait surtout le travail libre, qui seul peut mûrir l’esclave pour l’indépendance qu’on lui destine, qui seul peut lui donner le sentiment de son intérêt propre, de sa propre responsabilité, qui seul peut le relever par l’accomplissement d’une tâche volontaire, qui seul peut lui faire aimer cette existence laborieuse, à laquelle il ne saurait renoncer un jour, sans danger pour lui-même et pour les autres. Or, si le bill anglais réserve aux nègres la jouissance d’un jour par semaine pendant l’apprentissage, il les oblige à payer leur houe et leurs outils, avec le prix de ce travail prétendu libre, et, du reste, il ne les excite par aucun intérêt sérieux à employer cette journée que l’usage des colonies leur abandonne depuis long-temps.

Mais le véritable but de l’apprentissage a été clairement indiqué par les discussions anciennes et récentes du parlement. Il a été soutenu au nom des propriétaires, combattu au nom des esclaves. C’est tout dire ; et à défaut des discours officiels, on trouverait une explication suffisante dans le bill lui-même, qui, en établissant une différence de deux années entre la durée de l’apprentissage des domestiques et celle de l’apprentissage des esclaves ruraux, n’a eu d’autre motif que le service constant des premiers, qui doivent ainsi payer plus promptement à leurs maîtres cet appoint que le trésor a voulu laisser à la charge des noirs eux-mêmes.

Au reste, l’apprentissage, tel qu’il vient d’être établi par le bill, n’est pas une nouveauté dans la législation britannique. Un statut d’Élisabeth avait ordonné que les enfans pauvres seraient placés, jusqu’à un certain âge, chez les fermiers de leur paroisse, et que ceux-ci seraient tenus de leur donner la nourriture et le logement en échange de leur travail. Ce n’était pas un moyen de moralisation ; c’était un marché prescrit par la loi. Eh bien ! la loi a prescrit le même marché aux colonies. Seulement il ne s’agit plus d’enfans, et on suppose que le marché sera assez avantageux aux propriétaires d’esclaves pour qu’ils puissent rabattre quelque chose de leurs prétentions.

Le bill n’a donc eu qu’un seul objet. Régler l’indemnité due aux propriétaires d’esclaves. Il leur a accordé une partie du prix en guinées, l’autre en prolongation du travail forcé. Mais il se trouve que la première partie est beaucoup trop faible, et que la seconde est souvent nulle, ou même onéreuse. De là l’indignation et les cris de détresse de la plupart des colons anglais ; de là, la dépréciation presque universelle des propriétés coloniales. Le but unique du bill n’a pas été atteint. Les propriétaires sont fort mécontens. L’insuffisance de l’indemnité en est-elle seule cause ? C’est ce qu’il est temps d’examiner.

Nous avons des renseignemens exacts sur onze des colonies anglaises. Il faut les parcourir rapidement, et leur demander, d’abord, si l’on se montre en général satisfait des résultats déjà connus du bill, et rassuré sur l’avenir ;