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LÉOPOLD ROBERT.

parties de la composition, l’auteur a dû consulter une autre faculté que sa mémoire. Si son crayon, avant de disposer les personnages de son tableau dans l’ordre où nous les voyons, s’est soumis à de nombreux tâtonnemens, ce n’est pas à nous de regretter le nombre de ces épreuves, car c’est à ces épreuves qu’il faut attribuer le mérite principal des Moissonneurs. L’harmonie linéaire de cette composition exerce un tel empire sur l’ame du spectateur, que la mémoire se reporte involontairement vers les œuvres les plus gracieuses et les plus pures de l’école italienne. Certes, si les théories exposées par Robert dans ses lettres à M. M…e avaient besoin d’être réfutées, s’il était nécessaire de démontrer que la reproduction littérale de la réalité ne suffit pas pour exciter, pour nourrir l’admiration, l’étude attentive des Moissonneurs serait un argument victorieux en faveur de l’interprétation. Je veux bien croire que Robert a trouvé, dans ses croquis d’après nature, tous les personnages de son tableau ; mais il m’est difficile d’admettre qu’il n’ait rien modifié dans l’attitude et la position relative de ces personnages. Et lors même qu’il me serait démontré que la nature lui a fourni la ligne générale aussi bien que les acteurs, loin de voir dans cette démonstration une raison pour admirer moins vivement le tableau des Moissonneurs, j’insisterais sur la sagacité de l’auteur qui lui a tenu lieu de génie. Sans doute la beauté harmonieuse de cette composition ne prouve pas que Robert fût doué d’une imagination féconde ; mais qu’il ait inventé ou qu’il ait su découvrir et respecter la ligne simple et pure qui nous ravit, dans le second comme dans le premier cas, nous devons admirer le bon sens dont il a fait preuve. Le même spectacle, n’en doutons pas, offert aux yeux d’un homme vulgaire, n’aurait laissé dans sa mémoire qu’une empreinte passagère. S’il n’a fallu que du bonheur pour transcrire la réalité sur la toile, ce bonheur n’appartient pas à tout le monde, et Robert, n’eût-il signé que ce tableau, serait encore un homme digne d’étude. Mais il est probable que la réalité n’a fourni à Robert que les élémens de sa composition et qu’il a soumis ces élémens à l’unité linéaire.

Quant à la peinture des Moissonneurs, elle est assurément supérieure à celle de l’Improvisateur et de la Madone ; mais elle laisse encore beaucoup à désirer. La couleur est plus vraie, les contours généraux sont plus purs, mais les mains sont encore modelées avec une dureté singulière. Toutefois ce tableau, considéré sous le rapport technique, marque un progrès éclatant dans la carrière de l’auteur.

Les Pêcheurs de l’Adriatique, dernier ouvrage de Robert, n’ont pas