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LÉOPOLD ROBERT.

Les toiles du Titien ou du Véronèse, de Léonard ou du Corrège, ont-elles pour tous les yeux la même valeur, pour tous les esprits la même signification ? Assurément non. À quoi se réduit donc la pensée de Léopold Robert ? Il vante l’étude de la nature comme une étude féconde, et, sur ce terrain, il ne trouvera pas d’adversaires. Mais en même temps il affirme que la nature n’est pas la même pour tous, et se prête à bien des interprétations diverses. Or, dès qu’il admet la diversité des interprétations, il renonce à l’imitation littérale ; car l’imitation littérale est nécessairement une, et ne saurait être multiple. Appliquée à l’étude des maîtres, cette diversité d’interprétations exclut le plagiat et le pastiche, et place les galeries sur la même ligne que la nature parmi les élémens de l’enseignement. Interpréter les maîtres, interpréter la nature selon le caractère spécial de son intelligence, tel est le but que se proposent tous ceux qui étudient les maîtres ou la nature. Commenter les maîtres à l’aide de la réalité, ou la réalité à l’aide des maîtres, compléter tantôt la tradition par la réalité, et la réalité par la tradition, telle est la méthode qui résume, selon nous, l’enseignement et l’étude de la peinture. Il n’est pas douteux pour nous que cette pensée ne fût aussi celle de Robert, car le germe de cette pensée se trouve dans les paroles que nous avons citées ; mais, pour développer ce germe, il fallait employer des procédés que Léopold Robert n’avait pas eu l’occasion de connaître. Il n’est donc pas étonnant qu’il n’ait pas mesuré toute la portée de ses paroles ; mais il est impossible d’attribuer une grande valeur à des pensées présentées sous une forme si confuse.

L’Improvisateur napolitain et la Madone de l’Arc avaient ouvert à Léopold Robert les premiers salons de Rome et de Florence. Son nom, sans avoir encore l’éclat que devait lui donner la belle et harmonieuse composition des Moissonneurs, devenait de jour en jour plus célèbre. Parmi les nobles familles qui s’empressèrent de l’accueillir, une surtout sut inspirer à Robert une vive et durable sympathie. C’est au sein de cette famille qu’il puisa le germe de la passion qui l’a conduit au suicide. Mme Z., pour qui Robert conçut un amour violent, était d’origine française, et cultivait elle-même la peinture ; peu à peu une familiarité presque fraternelle s’établit entre le jeune peintre et les diverses personnes de cette famille, qui se composait alors de Mme Z., de son mari et d’une parente. Pour encourager la timidité de Robert et triompher de sa réserve, ils entreprirent avec lui une suite de compositions. Cette communauté de travaux, ce rapide échange de questions et de conseils, ne permirent pas à Robert