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de savoir analyser sa pensée, Léopold Robert est arrivé à ne pas dire ce qu’il pense. Ce qu’il blâme, il a raison de le blâmer. L’aveugle routine qui préside trop souvent à l’enseignement de la peinture mérite certainement les reproches les plus sévères ; mais il ne faut pas se méprendre sur la nature, les limites et le but de l’enseignement. Il n’y a pas de professeurs pour l’enseignement du génie, et la pensée de Robert ne pourrait s’appliquer qu’à l’enseignement du génie. Quant au caractère mercantile que Robert reproche à la plupart des peintres qui ont un atelier d’élèves, nous n’entreprendrons pas de le nier ou de le justifier. Nous sommes très disposé à croire que la plupart des professeurs se proposent plutôt de s’enrichir que de propager les vrais principes de l’art ; mais il y a, nous n’en doutons pas, d’honorables exceptions. Il se rencontre, parmi les professeurs de peinture, des hommes qui concilient le soin de leurs intérêts avec l’instruction des élèves qui leur sont confiés. Sans doute, Robert lui-même n’eût pas hésité à rétracter ce qu’il y a de trop absolu dans la forme de sa pensée, s’il eût été pressé de questions. Étranger aux procédés analytiques de l’intelligence, il avait besoin, pour se comprendre, d’un contradicteur éclairé. Ce contradicteur lui a manqué ; aussi répugnons-nous à prendre ce qu’il dit pour l’expression sincère et fidèle de sa pensée.

La distinction qu’il établit entre l’étude des maîtres et l’étude de la nature justifie parfaitement notre répugnance. Il ne conçoit pas que les peintres emploient plusieurs années de leur vie à copier les œuvres du Titien ou du Véronèse, et, à ce propos, il affirme que la nature seule est capable d’inspirer aux artistes des œuvres vraiment grandes. Certes, nous ne prendrons jamais en main la cause de l’imitation ; nous croyons sincèrement que l’imitation des maîtres vénitiens ou flamands, florentins ou espagnols, est impuissante à produire des œuvres d’une valeur réelle. Mais ce que nous pensons de l’imitation des maîtres, nous le pensons aussi de l’imitation de la nature. Et sans doute si Robert avait eu le loisir d’étudier le sens précis qu’il attachait à l’imitation de la nature, il fût arrivé à comprendre que l’étude de la nature sans l’étude des maîtres est aussi incomplète que l’étude des maîtres sans l’étude de la nature. Cela est si vrai, qu’au milieu des phrases vulgaires qu’il entasse pour étayer son opinion, il laisse échapper quelques mots où se trouve le germe d’une contradiction manifeste. « Chacun, dit-il ; voit la nature bien différemment ; il y en a qui trouvent des beautés sublimes là où d’autres n’aperçoivent rien. » Eh bien ! ne peut-on pas dire des maîtres ce qu’il dit de la nature ?