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LÉOPOLD ROBERT.

phique de Nicolas Poussin, la fécondité, la grace et la pureté de Raphaël, la science et l’énergie de Michel-Ange, le style sévère de M. Ingres, n’est-ce pas répéter très inutilement ce qui n’est douteux pour personne, ce qui est démontré pour tout le monde ? Je crois volontiers que Léopold Robert jouissait des œuvres de Nicolas Poussin, de Raphaël, de Michel-Ange, de M. Ingres, d’une manière toute personnelle, et qu’il trouvait dans le Déluge, dans l’École d’Athènes, dans le Jugement dernier, dans l’Apothéose d’Homère, des joies que le vulgaire ignore, que ces admirables ouvrages suscitaient en lui des pensées que la foule ne soupçonne pas, et qui n’appartiendront jamais à la foule ; mais ces joies, Léopold Robert n’a pas su les révéler ; ces pensées, il n’a pas su les traduire, et il nous est impossible de les admirer, car elles sont pour nous comme si elles n’avaient jamais été. Ce que nous en savons par les lettres que M. Delécluze a publiées se réduit à rien. Si un homme qui n’aurait jamais manié un pinceau disait sur Nicolas Poussin et sur Michel-Ange ce que nous lisons dans ces lettres, personne n’y ferait attention et ne jugerait à propos de le contredire ou de l’approuver : signées du nom de Léopold Robert, ces vérités vulgaires ne grandissent ni en valeur ni en autorité.

Ce qu’il dit de l’enseignement de la peinture mérite une attention plus sérieuse. Il est très vrai que l’habitude imposée aux jeunes gens de copier chaque semaine, depuis le 1er  janvier jusqu’au 31 décembre, une figure nue, tournée et contournée, ne développe pas d’une façon très active le sentiment et l’intelligence de la peinture. Il est très vrai que la plupart des maîtres, en suivant cette méthode, consultent plutôt leur paresse que l’intérêt de leurs élèves. À cet égard, l’opinion de Léopold Robert ne trouvera pas de contradicteurs. Mais, tout en admettant que l’enseignement de la peinture puisse être conçu d’après des principes plus élevés, nous croyons que l’auteur des Moissonneurs confond, dans sa lettre à M. M…e sur les ateliers, deux choses fort distinctes, la partie matérielle et la partie idéale de la peinture. Un maître habile peut enseigner à ses élèves la partie matérielle de la peinture ; quant à la partie idéale, c’est-à-dire l’invention, il ne peut que leur inspirer le désir et le courage de l’apprendre par eux-mêmes. Léopold Robert a donc tort lorsqu’il reproche aux études académiques, et en particulier aux études anatomiques, d’enchaîner l’imagination. Michel-Ange, qu’il admire, et dont l’audace provoque chez lui un si légitime étonnement, n’aurait pas peint le Jugement dernier de la Sixtine, s’il ne se fût résigné pendant plusieurs années à enchaîner son imagination dans l’étude de l’anatomie. Faute