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dans les rôles de maître et d’esclave. Cette fête durait cinq jours en Perse. Un esclave, dans chaque maison, était revêtu d’une robe royale et exerçait l’autorité souveraine[1]. Dion Chirysostôme nous apprend que cette mascarade se jouait jusque dans le palais du roi. On choisissait un prisonnier condamné à mort, on le faisait asseoir sur le trône du monarque, on le revêtait des insignes royaux, on le laissait faire bonne chère et même user à discrétion des concubines du prince ; aucune de ses volontés ne devait rencontrer d’obstacles ; puis, le sixième jour venu, on le dépouillait de son costume d’emprunt, on le battait de verges et on le mettait en croix[2], dénouement bien tragique pour une comédie commencée d’une manière si joyeuse.

REPAS D’HÉCATE.

Un autre petit drame convivial se jouait encore à Athènes, non pas seulement une fois chaque année, comme les Cronies, mais à toutes les néoménies ou lunes nouvelles : c’était les Hécatésies ou fêtes d’Hécate. Des statues et des autels de cette déesse étaient placés, comme on sait, dans tous les carrefours et devant les portes des principales maisons. À chaque nouvelle lune, les gens riches offraient un repas à la déesse et déposaient sur ces autels des pains et des mets fort simples, tels que des anchois, des mendoles et des surmulets[3]. Les pauvres remplissaient le rôle de la déesse et venaient la nuit vider les plats[4]. Hécate passait pour avoir accepté l’offrande. Comme les chiens errans faisaient assez souvent concurrence aux pauvres et se chargeaient irrévérencieusement du rôle de la déesse, on regarda ces animaux comme des victimes particulièrement agréables à Hécate[5].

QUELLES PIÈCES ON JOUAIT À LA COUR DES ROIS GRECS.

Nous venons de voir les acteurs satyriques, comiques, tragiques, les comédiens de toutes sortes, mimes, danseurs, lysiodes, simodes, ithyphalles, en un mot, toute la bande des artisans dionysiaques admis dans les fêtes et dans les banquets des cours. Nous avons vu la tragédie décrépite et expirante, voiturée sur un chariot à la pompe de Ptolémée, comme autrefois la tragédie naissante promenée sur les chariots de Thespis. Il nous reste à présent à chercher quel rôle la poésie jouait dans ces fêtes, à voir si la décadence de la tragédie et de la comédie fut dès-lors aussi complète qu’on l’a dit, et si, à l’ombre des demeures royales et dans les maisons des citoyens

  1. Athen., lib. XIV, pag. 639, C.
  2. Dion Chrysost., Orat. IV, De regno, tom. I, pag. 161, 162, ed. Reiske.
  3. Athen., lib. VII, pag. 515, B, C, et 325, C. — id., lib. VIII, pag. 358, F. — Le surmulet (τρίγλη, en latin mullus) est un assez petit poisson. Les Romains en faisaient un très grand cas quand il pesait plusieurs livres. Voy. Juven., Sat. IV, v. 15.
  4. Aristoph., Plut., v. 594, Schol., ibid.
  5. Eustath., Odyss., tom.  III, pag. 1467. — Je n’ignore pas que les mythologues assignent plusieurs autres causes plus sérieuses à la coutume fort répandue d’immoler des chiens à Hécate. — Il ne faut pas confondre ces sacrifices habituels avec les cynophonties, ou massacre des chiens, qui avait lieu tous les ans à Argos aux jours caniculaires. Voy. Athen., lib. III, pag. 99, E, F.