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L’USCOQUE.

meubles qui étaient dans la salle entièrement consumés, et les flammes faire éruption au dehors ; qu’alors elle eût à descendre le grand escalier, et à jeter l’épouvante dans le château, en sonnant la cloche d’alarme.

Appuyée contre la porte, les bras croisés sur la poitrine, les yeux fixés sur le hideux bûcher, d’où s’élèvent des flammes bleuâtres, Naam reste seule livrée à ses sombres pensées. Bientôt des tourbillons de fumée se roulent en spirale et se dressent comme des serpens vers la voûte. La flamme s’étend ; les voix aiguës de l’incendie commencent à siffler, à se répondre, à se mêler et à former des accords déchirans. On prendrait le pavé de marbre étincelant pour une eau profonde où se reflète l’éclat du foyer. Les fresques de la muraille apparaissent derrière les tourbillons de flamme et de fumée comme les sombres esprits qui protègent le crime et se plaisent dans le désastre. Peu à peu elles se détachent de la muraille, et ces pâles géans tombent par morceaux sur le pavé avec un bruit sec et sinistre. Mais rien dans cette scène d’épouvante, à laquelle préside silencieusement Naam, n’est aussi effrayant que Naam elle-même. Si une des victimes, dont les ossemens noircis gisent déjà dans la cendre, pouvait se ranimer un instant et voir Naam éclairée par ces reflets livides, la lèvre contractée d’horreur, mais le front armé d’une résolution inexorable, elle retomberait foudroyée comme à l’aspect de l’ange de la mort. Jamais Azraël n’apparut aux hommes plus terrible et plus beau que ne l’est à cette heure l’être mystérieux et bizarre qui préside froidement aux vengeances d’Orio.

Cependant les vitres tombent en éclats, et l’incendie va se répandre. Naam songe à exécuter les ordres de son maître, et à donner l’alarme. Mais d’où vient qu’Orio l’a quittée sans lui dire de l’accompagner ? Dans l’horreur de l’œuvre qu’ils ont accomplie ensemble, Naam a obéi machinalement, et maintenant un effroi subit, une sollicitude généreuse s’empare de ce cœur de tigre. Elle oublie de sonner la cloche, et, franchissant d’un pied rapide les escaliers et les galeries qui séparent la grande tour du palais de bois, elle s’élance vers les appartemens de Giovanna. Un profond silence y règne. Naam ne s’étonne pas de ne point rencontrer dans les chambres qu’elle traverse précipitamment les femmes qui servent Giovanna. La négresse fidèle, dont le hamac est ordinairement suspendu en travers de la porte de sa maîtresse, n’est pas là non plus. Naam ignore que, sous prétexte d’avoir un rendez-vous d’amour avec sa femme, Orio a éloigné d’avance toutes ses servantes. Elle pense qu’au contraire