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jusqu’au soir sans se rapprocher des écueils, quelque bruit qu’il entende au loin. Je lui donnerai, avec le canon du fort, l’ordre de sa rentrée. Va ; hâte-toi, et qu’Allah t’accompagne !

Naam disparaît de nouveau dans la spirale souterraine. Elle traverse les passages secrets ; de cave en cave, d’escalier en escalier, elle parvient enfin à une ouverture étroite, portique effrayant suspendu entre le ciel et l’onde, où le vent s’engouffre avec des sifflemens aigus, et que de loin les pêcheurs prennent pour une crevasse inabordable, où les oiseaux de mer peuvent seuls chercher un refuge contre la tempête. Naam prend dans un coin une échelle de cordes qu’elle attache aux anneaux de fer scellés dans le roc. Puis elle éteint sa lampe tourmentée par le vent, ôte sa robe de soie de Perse et son fin turban d’un blanc de neige. Elle endosse la casaque grossière d’un matelot, et cache sa chevelure sous le bonnet écarlate d’un Maniote. Enfin, avec la souplesse et la force d’une jeune panthère, elle se suspend aux flancs nus et lisses du roc perpendiculaire, et gagne une plate-forme plus voisine des flots, qui se projette en avant, et forme une caverne que la mer vient remplir dans les gros temps, mais qu’elle laisse à sec dans les jours calmes. Naam descend dans la grotte par une large fissure de la voûte et s’avance sur la grève écumante. La nuit est sombre, et le vent d’ouest souffle généreusement. Elle tire de son sein un sifflet d’argent et fait entendre un son aigu auquel répond bientôt un son pareil. Quelques instans se sont à peine écoulés, et déjà une barque, cachée dans une autre cave de rocher, glisse sur les flots, et s’approche d’elle. — Seul ? lui dit en langue turque un des deux matelots qui la dirigent. — Seul, répond Naam ; mais voici la bague du maître. Obéissez, et conduisez-moi auprès d’Hussein. Les deux matelots hissent leur voile latine, Naam s’élance dans la barque et quitte rapidement le rivage. La signora Soranzo est à sa fenêtre ; elle a cru entendre le bruit des rames et le son incertain d’une voix humaine. Le lévrier fait entendre un grognement sourd, témoignage de haine. — C’est Naama tout seul, dit la belle Vénitienne ; Soranzo, du moins, repose cette nuit sous le même toit que sa triste compagne !

L’inquiétude la dévore. — Il est blessé ! il souffre ! il est seul peut-être ! Son inséparable serviteur l’a quitté cette nuit ! Si j’allais écouter doucement à sa porte, j’entendrais le bruit de sa respiration ! Je saurais s’il dort. Et s’il est en proie à la douleur, à l’ennui des ténèbres et de la solitude, peut-être ne mépriserait-il pas mes soins !

Elle s’enveloppe d’un long voile blanc, et comme une ombre in-