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ORIGINES DU THÉÂTRE.

tenant d’une main une couronne de perséa, de l’autre une palme ; on l’appelait Pentétéris, la cinquième année[1]. Après elle s’avançaient les quatre Saisons, portant chacune les fruits qui leur sont propres… Ensuite venait le poète Philiscus, prêtre de Bacchus, et tous les artisans dionysiaques… À quelque distance roulait un char à quatre roues, long de quatorze coudées sur huit de large, traîné par cent quatre-vingts hommes. Sur ce char était posée la statue de Bacchus, haute de dix coudées. Cette figure, qui versait du vin avec une coupe d’or, était vêtue d’une tunique talaire de pourpre et d’une robe de dessus transparente et de couleur jaune. Cette statue était, de plus, entourée d’un manteau pourpre, broché d’or. Devant elle était placée une cuve de Laconie faite d’or, qui contenait quinze métrètes, une table à trois pieds qui soutenait une cassolette d’or et deux flacons de même métal plein de cassia et de safran. On avait tressé au-dessus un élégant berceau de pampre, de lierre et de divers autres feuillages, d’où pendaient des couronnes, des guirlandes, des thyrses, des tambourins, des bandelettes, des masques satyriques, comiques et tragiques. Derrière ce char venaient les prêtres, les prêtresses, les nouveaux initiés, toute la confrérie de Bacchus et les femmes qui portaient le van mystique. Un peu après, on voyait les Bacchantes appelées Macètes ou Mimallones, Bassares ou Lydiennes, ayant les cheveux en désordre et couronnées de serpens, de branches d’if, de pampre et de lierre. Un autre char à quatre roues, large de huit coudées, s’avançait ensuite traîné par soixante hommes et portant assise une statue représentant Nysa[2], haute de huit coudées, vêtue d’une tunique jaune brochée d’or et d’un manteau macédonien. Cette figure se levait artificiellement[3], sans que personne y touchât. Elle versait du lait avec une coupe et se rasseyait ensuite[4]. »

Je m’arrête : ce fragment suffit et au-delà, pour donner une idée de cette représentation gigantesque. J’ai cru devoir insister quelques instans sur la pompe de Ptolémée, parce que cette espèce d’inauguration royale, à laquelle se mêlait la célébration des Dionysies pentétériques, devint le type invariable de toutes les entrées et réceptions de rois, de toutes les déifications et apothéoses[5], de tous les triomphes décernés aux empereurs et aux princes même chrétiens, qui conservèrent une grande partie de cet extravagant cérémonial.

  1. La présence de ce personnage allégorique dans la pompe de Ptolémée prouve qu’il y avait coïncidence entre cette cérémonie et la célébration des Dionysies quinquennales.
  2. Ville où Bacchus était particulièrement honoré.
  3. Cette circonstance est remarquable pour l’histoire de la statuaire à ressorts.
  4. Athen., lib. V, pag. 497, seqq.
  5. Il faut distinguer la déification de l’apothéose. Non-seulement l’hellénisme admettait l’apothéose des héros morts ; mais, à partir d’Alexandre, les princes aspirèrent à être déifiés de leur vivant. Un démagogue vendu à Démétrius Poliorcète fit décréter que toutes les fois que ce prince viendrait à Athènes, il serait reçu avec les cérémonies en usage aux fêtes de Cérès et de Bacchus. On changea le nom du mois munychion en celui de démétrion, et l’on poussa même la flatterie jusqu’à donner aux dionysies le nom de demétriades. Voy. Plutarch., Demetr., cap. X-XII.