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POLITIQUE DE LA FRANCE EN AFRIQUE.

aurons obtenu des tribus qu’elles nous paient l’impôt, qu’elles nous fournissent un contingent de cavaliers, en cas de guerre, et quelles recourent à nous pour juger leurs différends, l’administration française aura atteint en Afrique les limites du possible. Un assujétissement plus étendu ne peut venir qu’à la suite de la dissolution des tribus en familles, et cette dissolution, la force n’y peut rien ; le contact seul des deux civilisations peut l’amener à la longue. Un grand pas sera fait vers ce but, quand les tribus arabes auront quitté les tentes pour habiter des maisons, car la maison est le symbole de la famille ; elle en résulte ou la crée. La tente, au contraire, est la conséquence de la tribu. Elle est ouverte ; elle se plie et se déplie ; elle se transporte ; elle laisse la famille perdue dans la tribu et docile à ses mouvemens. Par cela qu’ils ont des maisons, les Kabaïles sont bien plus près de nous que les Arabes. Peut-être, quand nous les connaîtrons mieux, découvrirons-nous que chez eux la vie de tribu est très affaiblie, et que ce que nous appelons ainsi mériterait mieux le nom de communautés. En tout, les Kabaïles sont l’élément le plus curieux des populations de la Régence, et celui de tous qui nous offrira peut-être le plus de prise. Mais nous le connaissons à peine, et cette circonstance suffit pour indiquer que notre action sur lui doit être jusqu’à nouvel ordre fort circonspecte. Encore une fois, pour soumettre un peuple, il faut avant tout le connaître. C’est par là que nous devons commencer avec les Kabaïles, et pour y parvenir, il est nécessaire que nous temporisions. Ce peuple n’est point politiquement organisé : nous n’avons donc à craindre de sa part aucune entreprise nationale. Une hostilité à mort a existé pendant des siècles entre lui et la race arabe, et depuis la pacification il en est resté profondément distinct : il est donc facile de prévenir toute alliance entre ces deux races et de les tenir isolées. Une susceptibilité d’indépendance poussée à l’extrême, tel est le trait le plus prononcé du caractère des Kabaïles. Ils le doivent à leur rôle constant de race opprimée et aux sauvages montagnes qu’ils habitent. Cette susceptibilité doit être ménagée. Ils ont des chefs ; il faut traiter avec ces chefs, et lier par eux des rapports pacifiques avec la nation ; c’est le moyen d’arriver jusqu’à elle et de la pénétrer ; c’est le moyen aussi de nous révéler à elle. Nous ne sommes ni des Turcs, ni des Arabes ; une race agricole et industrieuse, qui a des demeures et des cultures fixes, a tout à gagner à la domination d’une nation civilisée comme la nôtre ; nous pourrons beaucoup sur les Kabaïles quand ils nous connaîtront. Nous ne saurons bien