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la robe de pourpre d’Ammon, sa chaussure tailladée et ses cornes, comme s’il eût été ce dieu même ; tantôt il s’habillait en Diane et montait ainsi vêtu, sur son char, ayant une robe persane et laissant voir sur son épaule l’arc et le javelot de la déesse. Il lui arrivait encore de s’habiller en Mercure. Mais son vêtement de tous les jours était une chlamyde de pourpre et une tunique chamarrée de blanc ; sa coiffure était un bandeau surmonté d’un diadème. Dans les réunions d’amis, il portait un pétase ailé et des talonnières comme Mercure, et tenait un caducée à la main. Souvent aussi on le voyait couvert de la peau de lion et armé de la massue d’Hercule[1].

Alexandre à son retour des Indes épousa Statira[2], fille aînée de Darius, et Parysatis, fille puînée d’Ochus[3], et donna en mariage à Héphestion, son favori, Drypatis, autre fille de Darius. Il fit épouser les autres princesses ou filles de grands seigneurs perses à quatre-vingts des principaux officiers de son armée. Ces noces donnèrent lieu à une des fêtes les plus follement splendides de toutes celles dont la mémoire nous est parvenue. Voici quelques détails que nous a transmis l’historien Charès.

« Alexandre fit préparer quatre-vingt-douze lits pour lui et ses compagnons dans un hécatoncliné, ou salle à cent lits ; chaque cliné était orné comme le demandait un jour de noces et avait coûté vingt mines d’argent. Les pieds de celui du roi étaient d’or. Il admit à ce banquet tous les étrangers qui lui étaient unis par un lien particulier d’hospitalité et les fit coucher en face de lui et des autres mariés. Il donna place dans une enceinte découverte aux chefs de l’armée de terre et de mer, aux députés des villes et aux simples voyageurs. La salle du festin était magnifiquement décorée et garnie de draperies précieuses posées sur une tenture de pourpre à fond d’or. Le pavillon qui couvrait cette salle était soutenu par des colonnes de vingt coudées, revêtues de lames d’or et d’argent et enrichies de pierres précieuses. Les parois intérieures étaient tendues de tapisseries brochées d’or qui représentaient des animaux, et dont le bas était garni de baguettes d’or et d’argent. L’enceinte découverte avait quatre stades de tour. On fit ces repas de noces au son des trompettes, comme lorsque Alexandre offrait un sacrifice, pour que toute l’armée en fût instruite. Ces fêtes durèrent cinq jours. On y fut servi par un grand nombre de barbares, de Grecs et d’Indiens. Il y eut une foule de faiseurs de tours très habiles, tels que Scymnus de Tarente, Philistide de Syracuse et Héraclite de Mitylène. Après eux se montra le rhapsode Alexis de Tarente. Il y eut de plus des citharistes qui jouèrent sans accompagnement de voix, entre autres, Cratinus de Méthymne, Aristonyme d’Athènes, Athénodore de Théos. Au contraire, Héraclite de Tarente et Aristocrate de Thèbes chantèrent en s’accompagnant de la cithare. Denys

  1. Éphippe dans son livre sur la mort d’Alexandre et d’Hephestion, cité par Athen., lib. II, pag. 537,E, F.
  2. Plutarch., Alex., cap. LXX. — Arrien (lib. VII, cap. IV) nomme Barsine cette seconde femme.
  3. Arrian., loc. cit. — Ainsi Alexandre avait trois femmes, Statira ou Barsine, Parysatis et Roxane ; mais il n’innovait pas en cela. La polygamie était permise aux rois de Macédoine.