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Kabaïles à l’islamisme nous semble une nouvelle preuve qu’ils n’ont jamais été que très imparfaitement soumis à la domination romaine. Il en aura été de leur soumission religieuse comme de leur soumission politique ; elle sera restée très imparfaite ; et ces chrétiens, encore à demi païens, isolés de leurs co-religionnaires depuis la conquête et en contact, pendant onze siècles, avec une religion plus grossière et par cela même plus appropriée à leur intelligence, seront devenus peu à peu des espèces de musulmans comme ils avaient été des espèces de chrétiens. Car si l’on sait que les Kabaïles sont musulmans, on ne sait guère comment ils le sont, et tout indique que chez eux l’islamisme varie de village en village, et n’est guère que le titre commun qu’imposent à leurs rêveries ascétiques les santons et les marabouts. Du reste, il en est ainsi dans toute la Régence. Indépendamment des deux grandes sectes qui divisent l’islamisme, on y comptait, au commencement de ce siècle, soixante-douze sectes secondaires, rameaux des premières, et en dehors de ces soixante-douze sectes, qui se traitaient toutes d’hérétiques, une multitude infinie de croyances excentriques, créées par ces prêtres irréguliers qu’on appelle marabouts, espèces de moines ou de saints qui pullulent dans l’Algérie, et qui s’y forment, dans chaque localité, une petite secte de dévots soumis à un credo particulier. La décomposition religieuse n’est donc guère moindre en Algérie que la décomposition politique. Toutefois le nom de Mahomet rallie toutes ces sectes dans une aversion commune contre les chrétiens ; mais ce sentiment n’a plus rien du fanatisme qui le rendit si puissant autrefois. En Algérie comme ailleurs et plus qu’ailleurs, la foi musulmane est en déclin. Sans chef et sans organisation, elle ne peut pas d’ailleurs rallier ses sectateurs pour un but politique. Un marabout vénéré peut bien encore parfois soulever sous sa bannière quelque portion considérable de la population ; mais son succès ne manque jamais d’exciter la jalousie de ses confrères, et bientôt cette jalousie lui suscite un rival. Tous ces faits se sont révélés avec évidence depuis que nous sommes à Alger. En vain a-t-on prêché contre nous la guerre sainte, la guerre sainte n’a pas été faite. Deux personnages seuls, en leur qualité de descendans du prophète, le sultan de Constantinople et l’empereur de Maroc, posséderaient l’autorité religieuse nécessaire pour l’exciter. Mais l’un est trop loin et les Arabes le haïssent comme Turc, et l’autre est trop près et ils le redoutent comme voisin. Bientôt d’ailleurs la division des races et celle des tribus rompraient l’entreprise. En résumé, même en présence d’une conquête chrétienne,