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POLITIQUE DE LA FRANCE EN AFRIQUE.

population des campagnes eût été entièrement assimilée à celle des villes, et la conquête arabe n’aurait pu détruire toute trace de cette assimilation ; et, d’autre part, une population énervée par les mœurs romaines de l’empire et accoutumée à l’obéissance, n’aurait point retrouvé la vigueur de résistance que les Kabaïles ont opposée à la conquête arabe, et aurait été entièrement et facilement soumise. Il nous paraît plus vraisemblable de croire que, dès l’époque romaine, les indigènes de l’Algérie se concentrèrent dans les positions montagneuses qu’ils occupent encore aujourd’hui, cédant aux colonies romaines les débouchés de la côte et les grandes vallées de l’intérieur ; que là ils consentirent à rester en paix, à reconnaître la souveraineté de Rome et à payer tribut, pourvu qu’on leur permît de vivre à leur manière et de conserver leurs lois et leurs habitudes. Cette supposition expliquerait la facilité de la conquête arabe, tant qu’elle n’eut à faire qu’aux populations romaines, et les limites insurmontables qu’elle rencontra dès qu’elle en vint à s’attaquer aux indigènes. Dans cette supposition, les Arabes n’auraient fait que se substituer aux Romains dans les territoires que ceux-ci occupaient, et après une lutte, reconnue inutile, avec les indigènes, ceux-ci auraient été laissés dans leurs positions, et soumis seulement à quelques-unes de ces marques de dépendance qu’en avaient obtenues les Romains, et que la prompte décadence de la puissance arabe en Afrique aurait bientôt entièrement supprimées.

Quoi qu’il en soit, les Kabaïles et les Arabes forment depuis longtemps et présentent aujourd’hui encore, sur le territoire de l’Algérie, deux populations parfaitement indépendantes et aussi profondément distinctes l’une de l’autre, que chacune d’elles peut l’être de celle des villes. L’Algérie est trop peu connue pour qu’on puisse assigner exactement les portions de territoire occupées par chacune des deux races. Mais ce qu’il y a de certain, c’est que chacune a le sien, et que jamais les deux populations ne cohabitent sur le même terrain. En général, les tribus arabes occupent les plaines et les vallées les plus ouvertes, où elles ont probablement remplacé les Romains, et qui conviennent davantage à la vie pastorale qu’elles mènent et aux souvenirs de leur patrie asiatique ; tandis que les Kabaïles sont concentrés dans les parties les plus montagneuses de l’Algérie, là même où ils durent se retirer primitivement devant l’invasion, et où ils ont pu défendre, comme dans autant de citadelles, leur indépendance. Ce que l’on sait encore, c’est que le territoire occupé par la race arabe est beaucoup plus étendu que celui des Kabaïles. Du reste, ni l’un