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POLITIQUE DE LA FRANCE EN AFRIQUE.

quels, sur trois ou quatre points, les eaux de la première se font jour pour arriver à la mer. Ces issues, ouvertes par la force du courant, le courant les remplit ; l’homme ose à peine s’y engager, et elles laissent isolées les deux régions qu’elles devraient unir. La division ne s’arrête pas là. De la chaîne intermédiaire du Petit-Atlas partent, au nord et au sud, de nombreux rameaux qui l’unissent au Grand-Atlas d’une part, et au rivage de l’autre, et qui découpent ces deux régions en une multitude de vallées qui n’ont entre elles aucune communication commode, de telle sorte que le pays, divisé en deux longues moitiés par le Petit-Atlas, et subdivisé en nombreuses fractions par les rameaux qui s’en échappent, ressemble à un échiquier dessiné par des montagnes, et n’offre que des barrières aux populations qui l’habitent. Vous chercheriez en vain un centre naturel à ce pays découpé ; la nature le lui a refusé. Les centres secondaires n’existent pas davantage. Toute la région maritime est composée d’étroites vallées perpendiculaires à la mer, et qui, rangées côte à côte, ressemblent aux crèches d’une étable. Chacune a son fleuve, ou plutôt son torrent, qui prend sa source au fond et coule en droite ligne au rivage. Les vallées de la région supérieure sont plus grandes, parce que les eaux, long-temps retenues par la barrière du Petit-Atlas, y ont formé de plus vastes bassins. Mais elles ne sont point liées l’une à l’autre, et chacune d’elles est un monde. Pour en dominer deux, il faudrait s’établir sur la chaîne qui les sépare. Aussi n’est-ce point au fond des vallées, mais à leur origine, et presque à cheval sur les montagnes qui les séparent, que sont bâties les principales villes de l’intérieur, comme si l’instinct de l’homme avait essayé de surmonter et de vaincre l’insociabilité du sol.

Ainsi séparées par la nature, les populations de l’Algérie le sont encore par l’origine, les souvenirs, le génie. Ailleurs la population des villes est homogène avec celle des campagnes ; c’est la même civilisation sous deux aspects, l’aspect industriel et l’aspect agricole, et, à chaque instant, une transfusion s’opère entre ces deux moitiés d’un même tout, une partie des habitans de la campagne passant à la vie citadine, et une partie des habitans des villes retournant à la vie champêtre. Il n’en est point ainsi en Algérie : la race des villes n’est point celle des champs, et l’une n’appartient point à la même civilisation que l’autre. Dans les champs sont les Kabaïles et les Arabes, races pures et primitives ; dans les villes sont les Maures, race mêlée, et dont les élémens ne sortent pas des deux autres. Les Maures sont le résidu de toutes les races civilisées qui se sont succédé sur la