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POLITIQUE DE LA FRANCE EN AFRIQUE.

elle les hésitations des hommes qui ont été moins prompts à s’y décider, et la résistance de ceux-là même qui encore aujourd’hui déplorent, comme une calamité, la nécessité de l’entreprendre.

Nous ajouterons une chose dont la France ne tient point compte, et qu’il est utile aussi de lui faire remarquer : c’est l’immense contradiction qui existe entre son génie et la nature du gouvernement qu’elle s’est donné. S’il y a au monde un peuple qui ait le goût du grand, c’est la France ; s’il y en a un qui se plaise aux résolutions audacieuses, c’est encore elle. Or, en quelles mains sont remises les affaires de cette nation si hardie, si amie des hautes entreprises ? Aux mains d’une démocratie bourgeoise et mobile, c’est-à-dire du gouvernement du monde le plus timide, le plus décousu, le moins apte par sa nature à oser les grandes choses et à les exécuter. En présence d’un vaste dessein, les membres d’une assemblée aristocratique ont l’habitude des grandes affaires pour le comprendre ; la certitude de la perpétuité de leur volonté, pour s’y engager. Mais de simples citoyens, introduits sans préparation dans la vie politique, et que la vie privée reprendra dans trois ans, où trouveraient-ils l’intelligence pour envisager sans trouble, et la résolution pour embrasser sans crainte des entreprises qui exigent pour réussir une longue persévérance ? Évidemment cela ne se peut. Ce qui a fait la grandeur de Rome, de Venise, de l’Angleterre, c’est la prédominance dans leur gouvernement de l’élément aristocratique. Le nôtre, institué dans l’intérêt de la liberté, est admirable pour la garantir ; mais, dans l’action extérieure, sa mobilité démocratique le condamne invinciblement au médiocre : s’il y échappe, ce ne sera que par exception, sous l’influence d’un roi ou d’un ministre de génie, qui de temps en temps pourra apparaître, et dompter pendant quelques années son instabilité naturelle. Voilà ce que la France oublie ou ne sait pas, et ce qui, dans l’affaire d’Alger, rend particulièrement injustes ses accusations contre les chambres. Ajoutons que c’est là, aussi, ce qui rend surtout hasardeuse l’entreprise d’Afrique ; c’est au point que nous oserions à peine l’approuver, s’il n’y avait dans le génie de la nation et dans le récent avénement de la dynastie qui la gouverne, un instinct et une nécessité de grandeur qui balanceront, nous aimons à l’espérer, le vice naturel de ses institutions.

Ainsi, dans cette affaire, ce qui devait arriver est arrivé. En voulant la conservation de l’Afrique, la France a obéi à son génie ; en hésitant sept années sur la question, notre gouvernement a obéi au sien ; en cédant enfin, les chambres et le cabinet ont suivi leur des-