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C’était, en effet, une mode particulière à l’Orient que celle des bouffons domestiques[1], des faiseurs de tours, des chanteuses et des danseuses de toute espèce. On voit sur les peintures anciennes qui décorent les tombeaux de l’Heptanomide, de riches Égyptiens accompagnés de nains contrefaits[2]. Dans ces cryptes décorées sous les rois de la xvie dynastie (2050 ans avant notre ère), et où sont peints autour du défunt tous les usages de la vie civile, on trouve un grand nombre de figures de danseuses, de faiseurs de tours et de musiciennes[3]. Ces divertissemens subsistent encore aujourd’hui en Égypte, en Perse, aux Indes, chez toutes les nations soit boudhistes, soit mahométanes. Toutes les relations de voyages sont pleines de fêtes et de repas animés par les danses lascives des almées et des bayadères[4]. Jean Albert de Mandelslo raconte que le Grand Mogol avait cédé pour habitation une aile de son palais, appelée la porte du roi Acbar, aux femmes chargées de le divertir lui et sa famille[5]. Le même voyageur nous apprend que, souvent retiré dans ses maisons de plaisance, l’empereur faisait danser ces femmes nues devant lui. Et ce ne sont pas là des plaisirs réservés à l’empereur ; il n’y a pas de raja, ni même de riche particulier dans l’Inde, qui n’appelle à ses repas d’apparat une ou plusieurs troupes de courtisanes. Anquetil du Perron[6], et tout récemment Victor Jacquemont[7], donnent une idée très avantageuse de ces danses voluptueuses qui charment la sensualité orientale.

DRAMES PENDANT LES REPAS.

Si l’on doutait qu’en Grèce les danseurs et les danseuses aient exécuté pendant les repas de véritables drames, il suffirait, pour se convaincre de la réalité de ces sortes de spectacles, de lire le récit suivant qui termine le Banquet de Xénophon :

« On plaça d’abord un siége au milieu de la salle ; puis le Syracusain (c’était le chef de troupe chargé du prologue) s’avança et dit : Vous allez voir Ariane entrer dans sa chambre nuptiale. Bientôt viendra Bacchus, qui a fait un peu la débauche chez les dieux ; il s’approchera d’elle, et ils prendront ensemble de doux ébats.

  1. Érasme, dans l’Éloge de la Folie, fait remonter plaisamment l’institution des fous de cour jusqu’à Vulcain, qu’il représente comme le bouffon de l’Olympe. — Philippe Cradélius a cru pouvoir soutenir plus sérieusement que, dès le temps de David, le roi Achis avait des fous à sa cour. Voyez Rois, lib. I, cap. XXI, v. 15. — Dans le Ramayana, Sita a près d’elle un bouffon qui lui décrit les qualités de ses amans.
  2. On remarque deux figures de nains sur un dessin recueilli, par Champollion le jeune, dans le tombeau de Rôteï, à Beni-Hassan.
  3. Rosellini, Monum. civ., pl. XCV-CII. — Les Juifs prirent en Égypte l’usage de la musique et de la danse pendant les repas. Voyez Ecclésiaste, cap. II, v. 8 ; Ecclésiastique, cap. XXXII, v. 7 et 8 ; S. Luc, cap. XV, v. 25.
  4. Notre mot bayadère est la transcription du mot portugais bailadeira, qui, au xvie siècle, signifiait une danseuse dans l’acception la plus générale.
  5. J. Ab. De Mandelslo, Voyage en Perse, mis en ordre par Olearius, tom. I, pag. 117.
  6. Anquetil du Perron, Zend-Avesta, tom. I, Introduction, pag. CCCXLIV.
  7. Correspondance de Victor Jacquemont, tom. I, pag. 192.