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ORIGINES DU THÉÂTRE.

jeux de la Grèce ambitionnaient surtout d’entendre chanter leur victoire dans les repas qu’ils donnaient ou recevaient à leur retour dans leur patrie[1]. La plupart des odes de Pindare ont été composées pour des fêtes et des banquets agonistiques. Ces odes, dans le genre des dithyrambes, étaient de véritables chœurs mêlés de danses[2], exécutés tantôt sous de riches portiques, tantôt dans la salle même des festins, au son des flûtes éoliennes.

« Comme les banquets sont amis de la gaieté, dit Pindare, ainsi les couronnes de la victoire s’embellissent par l’harmonie des chants. Au milieu des coupes, nos voix prendront un essor plus libre. Qu’on verse à l’instant la douce liqueur qui doit préluder à nos hymnes ; qu’aux yeux des convives le pétulant fils de la vigne brille dans les magnifiques vases d’argent que Chromius a conquis par la vitesse de ses coursiers aux jeux sacrés de Sicyone… »

Les odes de Pindare et celles des autres poètes ses émules, n’étaient pas composées seulement pour décorer une seule fête. Indestructibles comme le marbre sur lequel on gravait le nom des vainqueurs, elles étaient destinées à perpétuer d’âge en âge la gloire de certaines familles et de certaines contrées :

« Courage, ô ma lyre, ma douce amie, dit Pindare, compose sur des accords lydiens un hymne qui fasse à jamais les délices des îles d’Œnone et de Chypre, où règne Teucer, fils de Télamon… »

Les odes agonistiques étaient dans leur nouveauté chantées et dansées par des artistes de profession. On montait une ode, comme une tragédie ou une comédie. Dans la suite, chacun savait par cœur ces chants glorieux. À la fin des repas, chaque convive prenait à son tour une branche de myrte et entonnait les nomes de Charondas[3], la Toison d’or de Simonide ou l’hymne d’Harmodius[4]. On appelait scolies ces chants de table. Quelquefois, surtout à la cour des rois, un poète couronné de fleurs chantait, comme Anacréon, le vin et l’amour dans des chansons souvent amœbées et qui formaient des espèces de petits drames.

Les poètes qui, comme Pindare, composaient des chants à la louange de certaines familles et de certaines villes, ne croyaient pas avilir leur muse en recevant un salaire en argent. Quant aux rhapsodes et aux stichodes que l’on faisait venir dans les festins, ils ne recevaient plus en paiement le dos d’un sanglier ou tout autre mets estimé, ainsi qu’au temps d’Homère ; l’usage s’était introduit, comme on le voit déjà dans Aristophane, de leur donner

    tait les dieux eux-mêmes, ou plutôt leurs images, à ces fêtes qui s’appelaient Théoxénies. Voy. Schol. in Pindar. Olymp., VII, v. 156, et Olymp., IX, v. 146. — Plutarch., De serâ Num. vindic.Athen., lib. IX, pag. 372, A.

  1. Pindar., Isthm., V, v. 67-70. — Les lauréats des jeux étaient accueillis le jour même et sur le lieu de leur victoire par des chants, des danses et des festins qui se prolongeaient pendant la nuit (Pindar., Nem., VI, v. 61, seqq.). D’autres fêtes plus splendides encore les attendaient à leur retour dans leurs foyers.
  2. Pindare le dit expressément dans une foule de passages : « Hâte-toi, nymphe, de mesurer tes pas aux doux accens de ma lyre. » Pindar., Isthm., VII, v. 27, seqq.Cf., Pyth., I, init.Isthm., VIII, init.Nem., III, init.
  3. Athen., lib. XIV, pag. 619, B.
  4. Aristoph., Nub., v. 1356, Schol., ibid. (1359) et Acharn., v. 980 et 1093, Schol., ibid. — Hesychius attribue ce chant à Callistrate.