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trouva à la fois sa cause dans les traditions et les débris des municipalités romaines, comme dans le mouvement incontestable et nouveau des cités du XIIe siècle. Aux champs de mai succédèrent les irrégulières convocations des barons de la troisième race, où les grands vassaux surgirent et dominèrent sous le nom de pairs, et où les juristes finirent par pénétrer, au détriment du clergé, vers la fin du XIIIe siècle. Les formules des glossateurs des Pandectes et des Institutes ne tardèrent pas à triompher. Les questions de droit public furent abandonnées, dans ces parlemens, pour les questions de droit particulier. De là la tournure exclusivement juridique de ces assemblées ; de là aussi des convocations autres et nouvelles. Les états-généraux devinrent nécessaires, et dans les grandes circonstances politiques, et pour imposer des tailles aux communes, qu’exemptaient de cette charge les priviléges de leurs chartes d’affranchissement. Aussi les cités du moyen-âge n’attachaient guère à ces réunions les idées de garantie politique et de coopération au gouvernement, dont elles sont, dans nos récens souvenirs, l’émouvant symbole. M. Augustin Thierry, par d’ardentes et neuves recherches qui ont jeté une vive lumière sur les assemblées nationales[1], a montré, à l’aide de textes curieux et précis, comment les états-généraux, cause ordinaire des maltotes et des grandes tailles, signal habituel de quelque crise sociale, étaient universellement redoutés, et comment les villes regardaient l’envoi exigé des députés comme une vexation, non comme un droit. Pour être vrai, il faut donc beaucoup rabattre des patriotiques enthousiasmes que soulève ce mot d’états-généraux, et ne pas transporter dans le passé les sympathies modernes pour les luttes puissantes de l’élection et de la tribune.

Je ne voudrais pas atténuer les résultats heureux que la convocation irrégulière des états-généraux a eus pour l’admission postérieure du tiers-état à l’exercice du pouvoir. Tout ce qui, sous le régime féodal, comme, plus tard, sous le despotisme royal, laissait au peuple l’image d’une coopération politique, même insignifiante, a servi à ne pas laisser périmer des droits qui devaient finir par trouver une sûre et définitive garantie dans la garantie même des institutions, dans la loi. Quoi qu’il en soit, ces questions élevées et difficiles méritaient d’être éclaircies par de consciencieuses recherches, car on n’a guère sur les états-généraux que des travaux particuliers ; ainsi le livre déjà ancien et un peu vieilli du spirituel et savant M. Naudet, sur ces réunions qu’animèrent la conjuration d’Étienne Marcel et les craintes causées par l’invasion anglaise ; ainsi le travail littéraire de M. Poirson sur les états de 1614. Une dissertation de ce genre trouvait donc naturellement sa place en tête du volume publié par M. Bernier. Nous l’y avons vainement cherchée, et, malheureusement, elle n’y est remplacée que par une insignifiante notice sur Masselin, où le style ne rachète pas la sècheresse des détails. M. Bernier n’a même pas cru convenable de parler à ses lecteurs des états-généraux de 1484,

  1. Lettres sur l’histoire de France, 5e  édit., lettre XXV.