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l’issue d’un festin donné par le roi Alcinoüs, exécutant une danse hyporchématique, c’est-à-dire dont les pas et les attitudes exprimaient le sens des paroles chantées par le citharède. Pendant qu’un héraut se lève et va chercher la lyre de Démodocus, neuf chefs choisis par le peuple[1] aplanissent la lice où les jeunes hommes exercés à la danse vont, par leurs mouvemens et leurs gestes, représenter l’aventure que chantera le poète. L’habile chanteur choisit les Amours d’Arès et d’Aphrodite. En examinant avec attention les apprêts de danse qui précèdent ce chant, et les détails encore relatifs à la danse qui le suivent, on reste convaincu que, malgré sa forme épique, cet épisode est un véritable hyporchème, c’est-à-dire un poème destiné à être animé par le geste et traduit par la danse[2].

Après et quelquefois pendant ces jeux, et quand on avait fini de vider les keras ou grandes cornes de table[3], les convives qui ne prenaient pas part aux chœurs, se livraient à divers exercices, entre autres, au jeu de la sphère ou du ballon[4].

BANQUETS ET FÊTES PENDANT L’ÉPOQUE RÉPUBLICAINE. — CHANSONS DE TABLE. — ODES AGONISTIQUES. — SCOLIES.

Dans les fêtes de l’époque républicaine, la richesse continua de convoquer la musique, la danse et la poésie à ses festins. Couchés sur des lits, et non plus assis sur des siéges (θρόνοι), comme du temps d’Homère, les riches citoyens des républiques pouvaient jouir plus commodément de ces divers spectacles. Nous voyons sur les vases grecs une foule de peintures qui représentent de riches Grecs étendus sur leurs lits de table ou clinés et entourés d’aulètes ou de citharèdes. Quelquefois, ce sont les convives eux-mêmes qui chantent ou jouent de la lyre[5], tandis que leurs voisins se divertissent au cottabe[6] ou à d’autres jeux[7].

Dans les beaux temps de la Grèce, les chansons de table étaient empreintes de la gravité des mœurs nationales. On entonna d’abord des hymnes en l’honneur des dieux[8] et des héros. Les vainqueurs couronnés aux grands

  1. Il semble que ce soit là l’origine de l’institution des choréges.
  2. Homer., Odyss., VIII, v. 266-371. On regarde généralement ce morceau comme interpolé, et on le croit même de la plus ancienne époque de la poésie grecque. J’admets ces deux opinions, et je pense, de plus, que c’est un hyporchème, ou chant fait pour être dansé.
  3. Pindar., ap. Athen., lib. XI, pag. 476, B.
  4. Homer., Odyss., VIII, v. 372, seqq. — Des voyageurs ont trouvé le jeu de ballon, qu’ils appellent sphœra mundi, en usage chez plusieurs peuples sauvages, entre autres à Banda, une des îles de la mer des Indes. Voyez Le second livre de la Navigation des Indes orientales, journal ou comptoir du voyage de J. Corn. Necq et Wibrant de Warwicq, Amst., 1600, in-fol., pag. 13.
  5. C’était l’usage, en Grèce, de faire passer la lyre aux convives à la fin du repas. Thémistocle ayant été forcé d’avouer qu’il ne savait pas s’en servir, fut regardé comme ignorant (indoctior). Cicer., ap. Quintil., lib. I, cap. XI. — Cf. Plutarch., Cim., cap. IX.
  6. Non-seulement les Grecs jouaient au cottabe pendant leurs repas, mais les gens riches avaient dans leurs maisons une salle nommée sottabeion, disposée pour jouer à ce jeu.
  7. Pollux donne une très longue liste des jeux usités pendant les repas. Voy. lib. IX, cap. VII, § 94, seqq.
  8. Les sacrifices étaient ordinairement suivis de repas où l’on chantait les louanges des dieux (Pindar., Pyth., V, v. 98, seqq.). Quelquefois on invi-