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DOCUMENS SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

reprocher à la Collection. Si l’inharmonie ou, pour parler sans détour, le désordre des matières effleurées dans cet article est sensible pour le lecteur, que doit-ce donc être dans le recueil lui-même ? À tout prendre, la meilleure route à suivre est encore de hiérarchiser les publications dans l’ordre contraire à leur mérite. Il vaut mieux commencer par le blâme et finir par l’éloge. Les places d’ailleurs ne seront pas difficiles à déterminer. MM. Bernier. Géraud, Depping et Fauriel nous occuperont tour à tour.

Le Journal de Masselin, publié par M. Adhelm Bernier, est un récit circonstancié et souvent diffus des états-généraux tenus à Tours, du 5 janvier au 14 mars 1484. Jean Masselin, chanoine de la métropole et official de l’archevêque, avait été député par le bailliage de Rouen à ces états-généraux que Louis XI, dans ses tendances despotiques, n’avait plus convoqués depuis 1468, et que l’avènement du jeune Charles VIII rendait de nouveau nécessaires. Après y avoir plusieurs fois pris la parole, à l’occasion des finances et du commerce, il revint à Rouen, y fut nommé tour à tour doyen du chapitre, vicaire-général, et y mourut en 1500. Ce rôle de député du tiers-état à une réunion qui rendait au peuple le simulacre de quelques-uns de ses droits politiques, affaiblis par la décadence des institutions municipales, des communes tombées au gouvernement des prévôts ; ce rôle devait être un grand évènement dans la vie d’un bourgeois normand du XVe siècle. Fier de cette participation momentanée et impuissante aux conseils de la royauté, et peu découragé d’ailleurs par la nullité presque absolue des résultats, Masselin écrivit le journal des états-généraux auxquels il avait assisté. Ce lui était une heureuse occasion, au milieu de la renaissance encore confuse des lettres, de faire briller son érudition classique. Le chanoine n’y manqua pas, et dans un latin barbare, bien que visant à la culture, prolixe, commun et déclamatoire, dans un latin qui répondait assez bien à son esprit étroit et vulgaire, il nous a laissé le récit de cette assemblée, qui, malgré l’intérêt de quelques séances et l’énergique vivacité de certaines paroles, est loin d’avoir, aux yeux de la science impartiale, cette valeur puissante de souvenirs que la dernière convocation du même genre en France nous a trop souvent habitués, par son éclat révolutionnaire, à demander à l’histoire des états-généraux.

On a beaucoup écrit que les états-généraux avaient puisé leur origine dans les champs de mai, concilia seniorum, comme dit Sidoine-Apollinaire, où les leudes étaient militairement convoqués par les chefs franks. Cela est vrai, sans doute, jusqu’à un certain point, et les historiens n’ont peut-être pas eu tort d’y voir une de ces heureuses et trop rares coutumes dues aux invasions barbares, qui vinrent féconder le sol usé et vieilli de la civilisation latine. Mais pourtant, dans les Gaules romaines, à côté des curies, à côté de la magistrature élective, n’y avait-il point (et le rescrit d’Honorius semble le prouver sans réplique) des assemblées de notables, auxquelles remonterait aussi la source des états-généraux ? De même l’établissement des communes