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Léonidas aux ruines de Sparte, le puissant incantateur auquel apparut sous les arceaux de l’Alhambra l’ombre du dernier Abencerrage. Il a remué la poussière des siècles, et s’est enivré de toute la poésie qu’elle exhale, depuis les tentes d’Abraham jusqu’aux champs de la Vendée ; et voici qu’arraché à ces hauteurs sublimes, vous allez le voir consumant sa vie dans une lutte stérile contre un ministre financier. Sur ce terrain où il est malhabile, il se défend sans adresse en présence d’antipathies de vieillard et de femme, et bientôt il est atteint avant même qu’il ait compris l’imminence du coup qui le frappe. Le grand écrivain est chassé comme un voleur, et se fait journaliste, vengeance à la taille de l’insulte ! Il attaque alors les hommes dont il a fait la fortune, et relève ceux qu’il a brisés ; lutte terrible qui fait bientôt trembler la monarchie, car, au lieu de rester sous sa tente, Achille a changé de camp. Puis, lorsqu’a sonné l’heure de la catastrophe, le poète revient au culte du malheur, qui fut celui de toute sa vie, mais en reportant vers l’avenir, qu’il semble entrevoir dans les illusions d’une première jeunesse, une foi républicaine de plus en plus avouée. C’est ainsi que, traversant le présent sans y vivre, il devance le cours des idées et des temps, tout en continuant au passé l’aumône de sa superbe fidélité : contradictions et incohérences inhérentes au génie de l’écrivain sans doute, mais qui sont aussi et dans les choses et dans les idées et dans toutes les positions de cette société comme de ce siècle.


Louis de Carné