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CONGRÈS DE VÉRONE.

lui livrait avec trop de confiance, l’opinion de droite ne put manquer de se croire assez forte pour faire l’essai de toutes ses théories politiques ; aussi chaque session fut-elle marquée par une conquête de plus, par un pas de plus vers l’abîme. Pendant que ce parti s’asseyait au pouvoir, l’opinion publique s’organisait en dehors de la chambre où il lui était désormais interdit de pénétrer. Le renouvellement annuel eût probablement apporté des enseignemens au trône ; il aurait au moins prévenu cette dangereuse réaction de 1827, dont le dernier mot ne fut dit qu’en 1830. Dans les circonstances données, la septennalité était un quitte ou double que la monarchie n’était pas assez forte pour supporter.

Le renouvellement intégral et l’expédition d’Espagne, excellens en principe, furent l’un et l’autre faussés dans l’application, et compromis dans leur résultat définitif. M. de Châteaubriand fut moins puissant contre son parti qu’il ne l’avait été contre l’Europe. Après la chute de Cadix, celle-ci fut à ses pieds, pendant que l’autre exploitait dans ses intérêts d’ambition la pensée nationale du ministre.

La manière dont cette grande affaire fut conduite, sous le rapport diplomatique, montre M. de Châteaubriand sous un aspect tout nouveau. On voit le grand écrivain appliquer ses éblouissantes facultés aux affaires avec une merveilleuse pénétration. Plein d’ardeur et de prudence, et d’une activité dont ne le détourne ni le cours des plaisirs, ni celui des harmonieuses pensées, il parle à tous, et à chacun sa langue. Spirituel et serré avec M. Canning, ouvert et chaleureux avec M. de Laferronnays, qui comprenait si bien cette langue de patriotisme et d’honneur ; noble et sérieux avec M. de Serre ; net et clair avec le général Guilleminot, son cœur est toujours à la France, et son esprit toujours libre au milieu des préoccupations les plus vives.

Ce testament dérobé à la tombe et que M. de Châteaubriand vient présenter à une génération déjà presque étrangère aux évènemens et aux émotions qui le passionnèrent si long-temps, reporte involontairement la pensée sur les phases si diverses de cette vie bouleversée par tant de tempêtes, dominée par tant de contrastes.

Ce ministre qui pose là devant vous, la poitrine couverte d’éclatans insignes, ce correspondant des ambassadeurs et des rois, c’est l’homme dont la jeunesse s’écoulait au désert, dans la cabane de l’Indien, qui berçait son sommeil au bruit de la cataracte, ou poursuivait son orageuse pensée le long des grèves solitaires. C’est le pèlerin de Terre Sainte, qui a bu au puits de Jacob, et pleuré sur Jérusalem dans la grotte de Jérémie ; c’est la voix forte qui appelait