Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/517

Cette page a été validée par deux contributeurs.
513
CONGRÈS DE VÉRONE.

Mais cette expédition ne pouvait-elle pas être conçue autrement ? N’y avait-il donc pas alors, comme aujourd’hui, en Espagne, un parti modéré qui vous tendait les bras ? Et si les hommes de réaction avaient eu dès l’abord la certitude qu’une alliance avec ce parti était l’irrévocable condition de notre entrée en Espagne, n’auraient-ils pas dû s’y résigner, quelque pénible que cette alliance pût leur paraître, pour échapper au joug de fer de la révolution démagogique ? Quoiqu’elle n’eût rien essayé pour les hommes de modération, ceux-ci ne furent-ils pas les seuls véritables auxiliaires de la France pendant l’invasion ? À quoi dut-elle les capitulations de Labisbal, de Morillo, de Ballesteros, l’adhésion de toute la grandesse et des notabilités espagnoles, si ce n’est à l’espérance de la voir assumer dans ce pays l’exercice d’une haute tutelle politique, tutelle contre laquelle l’alliance aurait murmuré sans doute, mais qu’elle eût été dans l’impuissance de nous ravir, si nous avions eu la fermeté de la prendre ? Des difficultés se seraient rencontrées sans doute, nous avons eu occasion de le dire ailleurs, en traitant plus longuement la même question[1], « difficultés moindres toutefois que le concours actif offert par tant d’hommes honorables qu’allait frapper une réaction brutale. On eût entendu de vieux tragalistes acclamer le roi absolu ; le trappiste et Mérino eussent protesté, Bessières se fût fait fusiller un peu plus tôt, et l’insurrection des agraviados, au lieu d’éclater en 1827, eût commencé à temps pour que l’armée française en sortant pût en finir avec elle. Le gouvernement français eût compris, si un parti n’eût fasciné sa vue ou forcé sa main, que, pour lui autant que pour l’Espagne, une transaction était plus politique et plus désirable qu’une victoire. Or, le moyen le plus assuré de l’atteindre était, ce semble, après l’invasion et l’occupation de la capitale, sous la menace d’une attaque immédiate, de négocier à Séville, avec le roi, la partie modérée des cortès et la majorité du conseil d’état… On recula devant les résistances de Paris bien plus que devant les résistances de l’Espagne ; et des actes partiels, tels que la lettre du roi Louis XVIII au roi Ferdinand, vinrent attester que l’on comprenait tous ses devoirs sans être en mesure de les remplir. »

  1. Tout ce qui se rapporte aux affaires d’Espagne depuis le commencement du siècle est traité à fond, par M. de Carné, dans un important travail dont nous pouvons annoncer aujourd’hui la publication prochaine. Cet ouvrage, où les principales questions du temps sont étudiées dans un esprit que nos lecteurs ont apprécié depuis long-temps, paraîtra le 25 de ce mois, chez F. Bonnaire, éditeur, 10, rue des Beaux-Arts, sous le titre : Des Intérêts nouveaux en Europe depuis la révolution de 1830. 2 vol. in-8o. (N. du D.)