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En consultant ces pressentimens d’avenir, qui sont comme les illuminations du génie, M. de Châteaubriand aurait deviné qu’il est une œuvre immense à parfaire en Espagne, et que cette tâche est providentiellement imposée à la France, quelques efforts que fassent ses divers gouvernemens pour se dérober à cette glorieuse fatalité. Nous devons faire prévaloir au-delà des Pyrénées les influences qui régissent la société moderne : c’est là notre droit, notre mission. La restauration y a forfait d’une façon d’autant plus grave que l’œuvre était alors bien moins ardue qu’on n’affecte de le dire.

La correspondance même du ministre des affaires étrangères avec M. de Talaru suffirait pour attester, si les faits ne le constataient d’une manière irréfragable, que le parti dit de la foi nous créa bien plus d’obstacles qu’il ne nous prépara de facilités. Ses fureurs et ses violences, les actes incroyables d’une régence installée par nous, retardaient la capitulation de toutes les villes, et faillirent empêcher celle de l’armée constitutionnelle, beaucoup mieux aguerrie et plus nombreuse qu’on ne l’avait supposé, armée contre laquelle nos tristes auxiliaires ne se mesurèrent pas une seule fois sans se faire battre. Les procédés de ce parti compromirent bien souvent l’œuvre de la pacification, et firent assister l’armée française à des scènes indignes d’elle. Notre gouvernement supporta toute la solidarité d’une réaction par laquelle un despote payait l’arriéré de trois années de bassesse et d’impuissance, il donna des paroles qui furent insolemment méconnues, il ne prit pas une mesure de prudence et de bon sens, sans être contrarié par un gouvernement que sustentait notre or, et qui vivait sous la protection de nos armes. La France joua, en Espagne, jusqu’au renvoi du ministère Saez, obtenu par le comte Pozzo di Borgo, le rôle le plus déplorable. Où en trouver des preuves plus péremptoires et plus éloquentes que dans les dépêches mêmes du ministre des affaires étrangères, que dans les cris de douleur d’une ame généreuse à la vue de tant de misères, dans ses efforts impuissans pour prêcher la modération à des hommes auxquels on livrait le pouvoir au retour de l’exil ?

Nous n’hésitons pas à le dire : si de tels résultats étaient inévitables, s’il n’y avait pas de milieu pour la France, entre abandonner la révolution à elle-même, et rendre aux conseillers de 1814 la puissance dont ils avaient si cruellement abusé ; s’il n’était pour elle aucune alternative entre le bonnet phrygien et le san benito, oh ! alors la guerre d’Espagne devenait une entreprise impolitique et dangereuse, et dont les succès militaires ne compensaient pas les conséquences pour l’opinion publique.