envoyaient des couronnes qu’on déposait sur l’urne, et députaient des hommes vêtus de longs habits de deuil pour assister au convoi funèbre. Quand la flotte approcha de Corinthe, on vit de loin sur la proue cette urne surmontée du diadème et couverte de la pourpre royale, entourée de jeunes gens armés qui lui servaient de gardes. Xénophante, le plus habile aulète de cette époque, était assis auprès et jouait des airs graves et religieux que le mouvement mesuré des rames accompagnait. La flotte avançait au bruit de cette harmonie lugubre, qui imitait les cadences de la flûte unie aux gémissemens et aux battemens de poitrine qu’on entend d’ordinaire aux funérailles… »
L’idée des représentations scéniques était tellement liée dans l’esprit des anciens aux idées de funérailles, qu’Hérode Atticus ayant causé la mort de sa femme Régille, qu’il aimait avec passion, ne se borna pas à lui rendre tous les honneurs funèbres alors en usage ; il ne regarda pas comme une expiation suffisante l’institution de sacrifices et de festins anniversaires ; il ne se contenta pas de faire tendre sa maison de noir et de s’y enfermer dans un isolement absolu et prolongé ; il crut devoir, pour apaiser les mânes de Régille, élever plusieurs monumens, et, entre autres, un théâtre couvert ou Odéon. Ce singulier monument funéraire avait un toit de bois de cèdre et était orné des plus riches sculptures[1].
Au reste, les voyageurs ont observé dans toutes les contrées du monde des usages à peu près semblables. Partout nous trouvons les chants et les cris plaintifs des femmes, partout l’immolation des prisonniers et des esclaves[2], partout des présens faits aux morts, et les armes et les vêtemens des chefs brûlés ou enfermés avec eux dans la tombe ; partout des jeux, des danses et de petits drames exécutés autour des tombeaux. Le capitaine Cook nous a donné la description des Haivas que les insulaires de l’Océan austral jouent sur la tombe de leurs guerriers. Nous voyons chez les sauvages de l’Amérique du Nord l’usage des anniversaires funèbres. On lit dans le père de Charlevoix que la grande fête des morts avait lieu tous les huit ans chez certaines peuplades, et tous les dix ans chez les Hurons. Cette pieuse solennité était accompagnée de festins funéraires et suivie de danses, de jeux et de combats simulés, à la fin desquels des prix étaient décernés aux vainqueurs, comme en Grèce[3]. Ainsi, partout une même idée introduisit des jeux, des scènes variées, des simulacres de combats, en un mot, le drame, c’est-à-dire l’image de la vie, près des tombeaux.
- ↑ Il subsiste encore à Athènes quelques débris de ce monument, qu’on a pris à tort pour les ruines du théâtre de Bacchus. Voyez W. M. Leake, The topography of Athens, pag. 60, seq.
- ↑ Voyez dans Bowdich (Voyage au pays d’Aschantie, pag. 394-405) l’horrible boucherie qui accompagne d’ordinaire les obsèques royales dans cette contrée.
- ↑ Les femmes pleuraient et chantaient tour à tour. De temps en temps elles jetaient un grand cri qui s’appelait le cri des ames. Voyez le P. de Charlevoix, Journal d’un voyage en Amérique, lettre XXVI, pag. 114.