Toutes les autres l’avaient trompé ou lui avaient semblé indignes d’occuper toute son énergie. Il aurait été forcé de la dépenser en vains plaisirs. Mais combien ces plaisirs lui semblaient méprisables depuis qu’il possédait en moi la source de toutes les joies ! Voilà comment il me parlait ; et moi, insensée, je le croyais aveuglément. Quelle fut donc mon épouvante quand je vis que je ne lui suffisais pas plus que ne l’avaient fait les autres femmes, et que, privé de fêtes, il ne trouvait près de moi qu’ennui et impatience ! Un jour qu’il avait perdu des sommes considérables, et qu’il était en proie à une sorte de désespoir, j’essayai vainement de le consoler en lui disant que j’étais indifférente aux conséquences fâcheuses de ses pertes, et qu’une vie de médiocrité ou de privations me semblerait aussi douce que l’opulence, pourvu qu’elle ne me séparât point de lui. Je lui promis que mon oncle ignorerait ses imprudences, et que je vendrais plutôt mes diamans en secret que de lui attirer un reproche. Voyant qu’il ne m’écoutait seulement pas, je m’affligeai profondément et lui reprochai doucement d’être plus sensible à une perte d’argent qu’à la douleur qu’il me causait. Soit qu’il cherchât un prétexte pour me quitter, soit que j’eusse involontairement froissé son orgueil par ce reproche, il se prétendit outragé par mes paroles, entra en fureur et me déclara qu’il voulait reprendre du service. Dès le lendemain, malgré mes supplications et mes larmes, il demanda de l’emploi à l’amiral, et fit ses apprêts de départ. À tous autres égards, j’eusse trouvé dans la tendresse de mon oncle recours et protection. Il eût dissuadé Orio de m’abandonner, il l’eût ramené vers moi ; mais il s’agissait de guerre, et la gloire de la république l’emporta encore sur moi dans le cœur de mon oncle. Il blâma fraternellement ma faiblesse, me dit qu’il mépriserait Soranzo, s’il passait son temps aux pieds d’une femme, au lieu de défendre l’honneur et les intérêts de sa patrie ; qu’en montrant, durant la dernière campagne, une bravoure et des talens de premier ordre, Orio avait contracté l’engagement et le devoir de servir son pays tant que son pays aurait besoin de lui. Enfin il fallut céder ; Orio partit, et je restai seule avec ma douleur.
Je fus long-temps, bien long-temps sous le coup de cette brusque catastrophe. Cependant les lettres d’Orio, pleines de douceur et d’affection, me rendirent l’espérance, et, sauf les angoisses de l’inquiétude lorsque je le savais exposé à tant de périls, j’aurais encore goûté une sorte de bonheur. Je m’imaginai que je n’avais rien perdu de sa