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surpassait ce qu’on avait élevé de plus magnifique en ce genre. Il faut lire dans Diodore tout ce que l’architecte Strasicrate prodigua de bois précieux, d’or, d’ivoire, d’étoffes de pourpre, de statues, etc., pour l’ornement de cet édifice éphémère. Ce bûcher, haut de cent trente coudées, comptait six étages superposés. Des figures de Sirènes, creuses et placées au faîte, cachaient les musiciens chargés de louer le mort et d’entonner le chant funèbre. Les dépenses de ce monument, auxquelles pourvurent les contributions volontaires ou forcées des provinces voisines, montèrent à 12,000 talens, environ 72,000,000 de notre monnaie[1]. Alexandre institua, de plus, des sacrifices et des jeux anniversaires en l’honneur de son favori ; et, pour donner lui-même l’exemple, il immola dix mille victimes qui servirent à défrayer un magnifique banquet funèbre[2]. Il avait aussi l’intention d’ouvrir un concours gymnique et musical qui eût effacé tout ce qu’on avait vu jusque-là en ce genre[3]. À cet effet, il avait réuni plus de trois mille artistes qui se trouvèrent ainsi tout prêts, dit Arrien, pour figurer dans les jeux qui devaient bientôt décorer ses propres funérailles.

Le bûcher d’Héphestion, composé de plusieurs étages, devint le type, non-seulement des bûchers employés plus tard aux apothéoses des empereurs, mais de presque tous les monumens durables qu’on éleva aux morts illustres[4]. Ce fut sur ce modèle qu’Artémise, reine de Carie, fit bâtir dans la ville d’Halicarnasse, en l’honneur de Mausole, son époux, la célèbre sépulture qui prit rang parmi les merveilles du monde, et que Pline a si bien décrite. Lors de la dédicace de ce monument, Artémise proposa des prix d’une grande valeur aux écrivains qui composeraient le meilleur panégyrique de son mari. Elle ouvrit de plus un concours poétique qui ne fut pas stérile : on possédait, du temps d’Aulu-Gelle, une tragédie de Théodecte, intitulée Mausole, laquelle eut, au rapport d’Hygin, plus de succès que l’éloge en prose que le même auteur avait fait du roi de Carie[5].

Plutarque, racontant les obsèques de Démétrius, remarque qu’elles furent célébrées avec un appareil presque théâtral. « Dès qu’Antigonus fut averti que l’on rapportait les cendres de son père, il alla au-devant d’elles avec toute sa flotte, et les ayant rencontrées près des îles, il reçut l’urne d’or qui les contenait et la plaça sur sa galère royale. Toutes les villes où l’on abordait

  1. Arrien n’évalue ces dépenses qu’à 10,000 talens. Voy. Arrian., lib. vii, cap. XIV.
  2. Tous les peuples de l’antiquité ont connu l’usage des banquets funèbres. Nous le trouvons même chez les Juifs. Baruch (cap. VII, v. 26 et 31) parle de dons et de repas offerts aux morts. « Mettez votre pain et votre vin sur le tombeau du juste, » dit Tobie (cap. IV, v. 18).
  3. Il faut entendre par concours musical (ἀγὼν μουσικός) un concours qui réunissait tous les genres de poésies, épique, lyrique et dramatique. Alexandre ouvrit des concours de ce genre dans toutes ses fêtes, gaies ou lugubres ; il appela, entre autres, des artistes de toutes sortes aux jeux dont il honora les obsèques du sophiste indien Calanus. Voy. Athen., lib. X, pag. 437, A.
  4. Bartoli, Veterum sepulchra, seu mausolea Romanorum et Etruscorum, in-fol. — Les plus anciens tombeaux furent construits en pierres et en briques. Voyez la description du tombeau d’Alyates, roi de Lydie, dans Hérodote, lib. I, cap. XCIII.
  5. Aul. Gell., lib. X, cap. XVIII.