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L’USCOQUE.

Ezzelino n’eut pas un instant de doute sur cette romance et sur cette voix. — Giovanna ! s’écria-t-il en s’élançant à l’autre bout de la salle, et en soulevant d’une main tremblante l’épais rideau de tapisserie qui obstruait la croisée du fond. Cette croisée donnait sur l’intérieur du château, sur une de ces parties ceintes de bâtimens que dans nos édifices français du moyen-âge on appelait le préau. Ezzelino vit une petite cour dont l’aspect contrastait avec tout le reste de l’île et du château. C’était un lieu de plaisance bâti récemment à la manière orientale et dans lequel on avait semblé vouloir chercher un refuge contre l’aspect fatigant des flots et l’âpreté des brises marines. Sur une assez large plate-forme quadrangulaire, on avait rapporté des terres végétales, et les plus belles fleurs de la Grèce y croissaient à l’abri des orages. Ce jardin artificiel était rempli d’une indicible poésie. Les plantes qu’on y avait acclimatées de force avaient une langueur et des parfums étranges, comme si elles eussent compris les voluptés et la souffrance d’une captivité volontaire. Un soin délicat et assidu semblait présider à leur entretien. Un jet d’eau de roche murmurait au milieu dans un bassin de marbre de Paros. Autour de ce parterre régnait une galerie de bois de cèdre découpée dans le goût moresque avec une légèreté et une simplicité élégantes. Cette galerie laissait entrevoir, au-dessous et au-dessus de ses arcades, les portes ceintrées et les fenêtres en rosaces des appartemens particuliers du gouverneur ; des portières de tapisseries d’Orient et des tendines de soie écarlate en dérobaient la vue intérieure aux regards du comte. Mais à peine eut-il, d’une voix émue et pénétrante, répété le nom de Giovanna, qu’un de ces rideaux se souleva rapidement. Une ombre blanche et délicate se dessina sur le balcon, agita son voile comme pour donner un signe de reconnaissance, et laissant retomber le rideau, disparut au même instant. Le comte fut forcé d’abandonner la fenêtre, Léontio venait lui rendre compte de son message ; mais Ezzelino avait reconnu Giovanna, et il écoutait à peine la réponse du vieux commandant.

Léontio vint annoncer que le gouverneur était réellement en course aux environs de l’île ; mais, soit qu’il eût mis pied à terre quelque part dans les rochers de la plage de Carnie, soit qu’il se fût engagé dans les nombreux îlots qui entourent l’île principale de Curzolari, on ne découvrait nulle part son esquif, à l’aide de la lunette. — Il est fort étrange, dit Ezzelin, que dans ces courses aventureuses il ne rencontre point les pirates. — Cela est étrange en effet, repartit le commandant. On dit qu’il y a un Dieu pour les hommes ivres et pour les