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CHANTEURS ET PLEUREUSES AUX CONVOIS DES RICHES.

Plus simples qu’aux temps homériques, les funérailles de la période républicaine semblent toutefois calquées sur celles que décrit Homère et plus particulièrement sur celles d’Hector. Elles offrent la réunion des deux circonstances qui frappent le plus dans les obsèques du héros troyen, la présence des poètes ou chanteurs (ἀοιδοί) et les longs adieux des femmes. Pindare, racontant l’enterrement fictif que l’on fit pour sauver Jason enfant, ne manque pas de mentionner les feintes lamentations des femmes. Platon dit à propos des rites funéraires : « Ne devait-on pas faire pour les chœurs tragiques ce qui se pratique dans les funérailles ? On paie des musiciens étrangers qui accompagnent le corps jusqu’au bûcher, avec une harmonie carienne… Une robe longue convient mieux que des parures dorées à ces chants lugubres. » Le rapprochement que fait Platon entre les chants des funérailles et ceux des tragédies est plein de justesse. Il existait, en effet, plus d’un rapport entre la complainte tragique et la complainte mortuaire. Un même nom les désignait (θρῆνοι) ; toutes deux étaient accompagnées du son plaintif des flûtes ; de plus, les hymnes funèbres étaient chantés par des espèces d’acteurs gagés (θρηνωδοὶ), qui ne différaient des acteurs tragiques que par le costume. Quand le mort était riche et d’un rang distingué, des chants étaient composés exprès pour lui ; Pindare avait fait ainsi beaucoup d’odes funèbres ou thrènes, qui ne sont pas venues jusqu’à nous[1].

Quant aux adieux des femmes, outre les gémissemens qui pouvaient être réels et sincères, on ne manquait pas de s’assurer à prix d’argent la présence des pleureuses de profession, sorte de comédiennes funéraires qui simulaient la douleur. Les unes étaient chargées de pleurer le mort, les autres de faire des libations sur le tombeau ; les fonctions de ces femmes étaient serviles : « Les Lacédémoniens ayant défait les Messéniens, retinrent pour eux la moitié de toutes les productions du pays ; ils contraignirent de plus les femmes libres d’assister aux funérailles pour y pleurer des morts qui ne leur appartenaient par aucun lien[2].

Solon, ennemi, comme on sait, de tout spectacle, voulut faire cesser les représentations funèbres : « Il défendit aux femmes, dit Plutarque, de s’égratigner et de se meurtrir le visage aux enterremens, de se livrer à des lamentations simulées et de pousser des gémissemens et des cris à la suite des convois, lorsque les morts n’étaient pas leurs parens[3]. » Mais il échoua contre

  1. Horat., lib. iv, Od. 2, v. 21-24 — On appelait ialemos le chant des obsèques. Voy. Athen., lib. xiv, pag. 619, B.
  2. Ælian., Var. hist., lib. vi, cap. i.
  3. Plutarch., Solon, cap. XXI. — Un passage de Démosthène (In Macart., pag. 1037, E) nous apprend que Solon restreignit la défense dont il s’agit aux femmes âgées de moins de soixante ans. Comme les devoirs funèbres entraînaient une souillure qui ne permettait pas de participer aux cérémonies religieuses, et que les femmes grecques étaient, jusqu’à l’âge de soixante ans, chargées en grande partie du culte, Solon, suivant M. du Theil (Mém. de l’Acad. des Inscript., tom. XXXIX, pag. 217, 218), voulut qu’elles s’abstinssent, quand il n’y avait pas nécessité, des fonctions funéraires incompatibles avec les cérémonies religieuses.