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REVUE DES DEUX MONDES.

et netteté. Sous le rapport de l’exécution, M. de Wailly ne nous a pas moins agréablement surpris ; son style est généralement clair, et d’un naturel auquel nous ne sommes plus accoutumés depuis long-temps. De nos jours on a tant abusé de l’image, on a tant prodigué la métaphore, on a tellement chargé de lyrisme l’humble prose, que nous ne saurions trop louer un auteur qui débute avec le sermo pedestris horatien. Ce n’est pas que la langue du nouveau romancier soit pauvre et glacée : elle est aussi riche qu’elle a besoin de l’être, elle s’élève et s’anime quand il le faut ; mais, elle ne déborde pas en néologismes et en phrases poétiques à tout propos : M. de Wailly nous paraît écrire en homme de goût et de bon ton. S’il y a de la lenteur et même de l’embarras dans le style de ses premiers chapitres, la pensée y est toujours exprimée justement. À mesure que l’auteur avance et qu’il connaît mieux son terrain, la phrase s’anime et acquiert de la forme ; souvent elle est fine et aiguisée en façon d’épigramme ; souvent elle est sentencieuse et précise, à la manière de Vauvenargues. Dans la scène où Shelton demande, pour le docteur Johnson, une pension à lord Bute, favori du roi, elle est pleine d’ellipses et de vivacité. Lorsqu’il se voit humilié par les refus d’Angelica, elle rend sa rage avec une vigueur et une âcreté remarquables ; enfin elle éclate en traits superbes de franche passion à l’endroit où le malheureux comte de Horn, trahi par son protecteur, repoussé par sa femme, abandonné de tout le monde, est en proie au plus violent désespoir qui puisse saisir un homme. Quel que soit le jugement que la critique porte sur ce roman, quel que soit l’accueil que le public lui fasse, notre opinion est, après l’avoir lu avec attention et l’avoir scrupuleusement examiné, qu’il révèle d’heureuses facultés chez l’écrivain auquel on en est redevable. Il signale en lui un esprit élevé, de l’invention dramatique, de la puissance d’analyse, et un sentiment très juste des habitudes et du langage de la société. En voyant de telles qualités, nous croyons pouvoir dire à M. Léon de Wailly que le roman lui promet de belles destinées littéraires. Qu’il ne doute point de lui-même, qu’il se lance hardiment dans la carrière ; il est déjà sur la bonne voie, et il peut saisir d’une main ferme les rênes du char qui a touché si glorieusement le but sous la conduite des Cervantes, des Lesage et des Richardson.

Auguste Barbier.


ALLEMAGNE.

denkwürdigkeiten und vermischte schriften (Mémoires et mélanges, par Varnhagen de Ense)[1].

L’Allemagne, comparée aux autres pays, est pauvre en mémoires. La loyauté un peu raide, mais respectable de ce peuple, sa pudeur et sa fierté ombra-

  1. vol. in-8o, Mannheim, chez Heinrich Hoff. — Paris, chez Heideloff, rue Vivienne.