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paru, n’aurait été qu’un instrument vulgaire de vengeance ; sans éclat et sans originalité ; dans celles de M. de Wailly, il a pris de l’importance et acquis une valeur réelle. Quoiqu’il n’apparaisse que fort tard sur la scène, il y demeure assez long-temps pour attacher les yeux, il est assez malheureux pour y laisser une trace profonde.

Autour des trois principales figures que nous venons d’analyser peut-être un peu longuement, se groupent d’autres figures qui, sans présenter autant d’intérêt, n’en sont pas moins remarquables. Fidèle au système adopté par les bons romanciers, l’auteur n’a point créé d’épisodes, et ses personnages secondaires servent tous au développement de l’action et des caractères principaux. La grande dame anglaise qui, dans la biographie, amenait à Londres Angelica, se retrouve également dans le roman. Lady Mary Veertvort est la protectrice de la jeune artiste, son chaperon, son guide et son mentor. Elle la met en relation avec le baronnet, qui lui fait avoir la commande de tableaux du club au détriment de Reynolds, et, par ses empressemens, elle décide le mariage avec le comte de Horn. On voit combien elle est nécessaire à l’action. Son caractère forme un piquant contraste avec celui de sa protégée. Autant l’une est retenue, craintive et peu allante, autant l’autre est impétueuse et femme d’action. Autant l’une se tourmente de scrupules, autant l’autre est prompte à les lever dans son cœur ainsi que dans celui des autres. Si lady Mary Veertvort est tranchante et légère en fait de conseils et de jugemens, c’est qu’elle est d’un certain âge, habituée au monde, et qu’elle en a la morale pratique. Au reste, toutes ses précipitations et ses fausses démarches lui sont inspirées par un excellent cœur. Un autre personnage qui n’est pas moins bien touché que celui de lady Mary, quoique plus accusé, c’est le colonel Ligonier, collègue de Shelton à la chambre des communes. Cet ancien militaire, lourd et épais, est un honnête pantin dont le baronnet se sert merveilleusement pour introduire, sans se montrer, le jeune de Horn chez les Kauffmann. La physionomie curieuse de ce gros homme est vivante ; sa folie est de connaître tous les noms aristocratiques du monde, sa fureur est celle de la présentation. Cette silhouette comique et celle de lord Parham, membre grotesque du club des Boucs, jettent de la gaieté dans l’ouvrage. La famille Kauffmann n’est pas, comme le dit Walter Scott sans avoir une corne au chapeau, c’est-à-dire ce coup de pinceau caractéristique qui fait vivre les figures les moins intéressantes. On aime l’irritation du vieux Kauffmann, peintre médiocre, mais bon père, sitôt que le talent de sa fille n’est point prôné comme il mérite de l’être. On pardonne volontiers à l’oncle Michel ses rusticités, tant il est brave homme. On applaudit surtout aux espiègleries de la petite cousine Gretly, qui, à travers ses sarcasmes et ses folles idées, a l’instinct de deviner la fausseté de Shelton, rien qu’à l’inspection de son nez. Méfiez-vous, dit-elle, de tout homme aux narines relevées et mobiles ; quand son nez se fronce, il ment. Nous ne savons pas jusqu’à quel point cette observation est juste, mais elle est au moins piquante et singulière. Quelle bonne trouvaille : quelle heureuse invention que celle de lady Ramsden et de miss